« Si quelqu'un veut marcher à ma suite, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. » (Lc 9, 23-24)
Commente entendre qu'en perdant la vie à cause de lui, Jésus- Christ, nous sommes sauvés ? Et qu'en voulant la sauver sans lui nous la perdons ?
Pierre semble indiquer que l'intelligence de la parole du Christ nécessite la foi en celui qui est cette parole, Jésus-Christ. « Tu es le Christ, le Messie de Dieu. » (Lc 9, 20b) Pierre devine, pressent en Jésus une radicalité et une espérance qui répondent aux attentes d'un peuple : la délivrance d'Israël. Pierre est vrai dans sa vérité d'homme pécheur sur le chemin de la grâce. La grâce le porte au firmament de sa vocation d'homme nouveau. Il touche Jésus. Il touche le Christ. Pierre confesse sa foi en Dieu. La brisure opérée en lui devient le passage des flot torrentiels de la foi qui l'emporteront jusqu'à Rome, jusqu'à la croix comme son maître ou presque, jusqu'à la croix tête renversée.
Ces mêmes flots de la foi, par cette même brisure désormais en nous, continuent leur course, nous portent tous quelques soient nos chemins, quelque soit l'ordinaire de notre vie vers le Ressuscité. Et c'est justement cette foi qui donne la force à Pierre de proclamer la messianité de son maître. Il opère un saut qualitatif, il reconnaît Jésus comme le Messie espéré, le Christ. Mais c'est aussi le saut de la mort sur la croix, avec son maître d'une exigence redoutable et effrayante.
Dans le jardin d'Éden, Dieu donne ce commandement à l'homme de pouvoir manger du fruit de tous les arbres du jardin mais pas de celui de la connaissance du bien et du mal sous peine de mort (Cf Gn 2, 15-17). Que dira alors le serpent à la femme ? Lorsque celle-ci aura répondu à sa question perverse et insidieuse, en lui expliquant que Dieu a donné le commandement de ne pas manger du fruit de cet arbre sous peine de mort, le serpent dira alors : « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! » (Gn 3, 1-6) Le fruit de cet arbre est mangé. C'est la mort. L'homme et la femme sont tellement séduits à l'idée de devenir comme des dieux qu'ils choisissent d'obéir au serpent fourbe et séducteur plutôt qu'à la parole de vie et de vérité de Dieu. Du coup, Dieu qui aime sa créature et veut la sauver devra désormais aller lui aussi sur ce chemin de péché avec elle pour justement l'en délivrer. Et Jésus le sait. Jésus sait que le chemin de sa croix, de sa passion, de sa mort et de sa résurrection est ce chemin de délivrance et de vie. Et Jésus l'annonce. L'arbre de sa croix qui brise la mort en Adam sera, est l'arbre de la vie éternelle. Et sa résurrection en est le fruit qu'il nous offre en partage.
Dieu dit à sa créature : « Non ! ce chemin est celui de la mort, n'y va pas ! » Elle y va. Jésus, le Christ, le Fils de Dieu nous dit ce matin implicitement : « Oui, ce chemin de mort que tu as choisi, j'y vais moi aussi pour te montrer et t'ouvrir le chemin de la vie par lequel tu devras passer toi aussi : la croix avec moi pour avoir part à ma résurrection et à ma vie et être délivré de la mort. » Et Pierre dira – dans la version parallèle chez saint Matthieu (Mt 16, 13-27)- « Dieu t'en garde, Seigneur ! Cela ne t'arrivera pas. » (Mt 16, 22b) Pierre aurait pu tout aussi bien dire : « Pas du tout ! tu ne mourras pas ! » Le Christ nous délivre de cette illusion en nous invitant à marcher avec lui dans la réalité quotidienne d'un chemin qui n'est pas la fin ici-bas mais un passage à traverser pour atteindre Dieu même, le Vivant, le Ressuscité. Pierre, au-delà de son reniement, de sa lâcheté et de son péché, marchera par sa foi sur ce bon chemin.
Frères et sœurs, la croix est une invention de l'homme corrompu par le mal. Ce n'est pas tant Dieu qui veut la croix que le mal en l'homme qui la cultive. Le Mal ne vient pas de Dieu. Dieu sera toujours du côté des crucifiés et de ceux qui souffrent et qui luttent pour vivre en vérité la paix, la justice, l'amour... Jamais du côté des persécuteurs et des bourreaux qui choisissent la haine, le mensonge, la mort. Et Dieu nous le montre d'une manière admirable. Il laisse son propre Fils aller à la croix en se soumettant à la volonté perverse des hommes. Oui, c'est la volonté du Père que son Fils aille à la croix mais non, ce n'est certainement pas la sienne, son Amour et Dieu est Amour qui a dressé la croix sur le Golgotha. Cependant, le Fils de Dieu nous révèle que la croix n'a de sens que par sa finalité : la béatitude éternelle. C'est elle qui donne sens aux épreuves du présent et nous donne de les traverser par notre foi au Seigneur ressuscité.
En méditant le livre de l'Apocalypse, Adrien von Speyr écrit : « Qui vit dans la tribulation et sait que le Seigneur la connaît n'est jamais abandonné. Le Seigneur est là qui porte avec lui. » (Adrien von Speyr, L'Apocalypse, Méditations sur le livre de la révélation, préface de Hans Urs von Balthasar, Johannes Verlag Einsiedeln Freiburg 2015, p.162)
Le Fils de Dieu perd sa vie pour sauver la vie des hommes. Il s'agit donc désormais de perdre le chemin de la vie en Adam pour trouver celui de la vie promise en Christ qui nous sauve. Mais ce nouveau chemin ne se dessine qu'à partir de notre liberté dans la foi vécue et exercée ici et au présent ; hier c'est trop tard, demain n'est pas encore. Notre liberté d'amour pour le Seigneur, notre marche avec et vers lui sur la croix s'incarne au présent et chaque jour.
Frères et sœurs, Dieu nous dit aujourd'hui : « Sur mon chemin, suis-moi. Ma vérité, crois-la. Ma vie, vis-la. Je suis avec toi tous les jours. Marche à ma suite. Ta croix c'est moi qui la porte sur la mienne. Dans la foi, aime-moi et mon amour pour toi te donnera de porter et de supporter toutes tes croix et de me suivre jusqu'à moi, la résurrection et la vie. » « Crois-tu cela ?» (Jn 11, 26b) Amen.
fr. Natnanaël
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE