Le Règne de Dieu est tout proche de vous nous dit l’Évangile de ce dimanche. Voilà une affirmation qui n'est pas neutre lorsque l'on considère le contexte dans lequel elle est annoncée par les 72 disciples envoyés par Jésus dans toutes les villes et localités d'une région en une mission d'évangélisation peut-être passablement tapageuse pourrions-nous penser mais qui pointe sur l'urgence de l'annonce et surtout de son accueil. Les uns ouvriront la porte avec joie et les autres non. Un épisode qui pourrait apparaître comme une répétition pré-pascale de l'évangélisation jusqu'aux limites de la terre. Un évangile qui pourrait bien être encore très actuel en nous renvoyant à notre propre façon de dire au monde cette bonne nouvelle que ce Règne de Dieu est proche de nous, que le Dieu vivant qui nous a rejoint par son Fils Jésus qu'Il a ressuscité d'entre les morts ne cesse de vouloir être toujours plus proche de nous ; qu'Il ne cesse de vouloir être accueilli grâce au travail de l'Esprit devant habiter en nos cœurs. Très bien, mais si je veux l'annoncer avec les mots que je viens d'utiliser, je ne sais si de telles formulations seront toujours audibles. Se mettre sur une place, dans la rue et dire Jésus t'aime pourrait bien ne pas suffire ou avoir un effet de contre témoignage comme me l'ont par exemple dit certains gars de la rue fréquentant l'association parisienne « Aux captifs la libération » qui pouvaient être interloqués par l'audace, l'impudence et l'opulence des membres de certaines sectes qui annoncent finalement leur propre royaume. Ces mêmes gars de la rue se laissant cependant rejoindre, du moins certains, dans leur humanité blessée par des frères et sœurs ne cherchant pas à leur asséner un corpus de croyances religieuses ou laïques mais, par leur propre humanité laissant percevoir quelque chose du vrai Royaume de Dieu. Tout différent mais certainement fécond sera le témoignage plus ouvertement centré sur l'annonce de ces jeunes de Jeunesse-Lumière, école d'évangile initiée par le P. Daniel-Ange et qui depuis 30 ans sont présents pas loin d'ici, dans le Tarn. A intervalles réguliers, ils se rendront dans les endroits fréquentés par d'autres jeunes : universités, lycées, collèges, paroisses. Mais pour chacun d'entre nous ici présents, notre quotidien ne nous amènera pas forcement à de tels témoignages en allant sur les places. Et pourtant, de la place où nous sommes, nous pouvons déjà donner quelque chose comme cinq pains et deux poissons pour faire progresser la lumière du Royaume de Dieu, comme ces nombreux membres du mouvement Monastère invisible par une courte mais fervente et solidaire prière quotidienne. Oui, dès à présent de petits gestes quotidiens et surtout le goutte à goutte de notre conversion de chaque jour peuvent avoir de grandes et fructueuses conséquences bien qu'elles ne nous appartiennent pas et que nous ne saurions prétendre mesurer. Si les soins du semeur sont nécessaires, ce n'est pas lui par qui pousse la plante. Oui, dès à présent, laisser lentement son cœur se convertir, se dilater. Alors quelque chose du Règne de Dieu sera plus proche des hommes de ce temps si nous affinons en nous et autour de nous cette présence à la Présence par ce que les anciens moines appelaient le combat spirituel qui n'est pas seulement lutte contre le mal, les démons de Évangile, mais d'abord croissance dans l'amour, l'amour d'un Dieu fou qui, pour reprendre les mots d'un théologien du siècle passé, ne cesse de s'approcher de nous dans une dissemblance-différence toujours plus grande. Ce Dieu Tout-Autre qui reste Tout-Autre, sinon, il y aurait fusion et non relation-alliance, ce Dieu Tout-Autre se paradoxalement toujours plus proche de nous en des situations souvent très minimes, joies et croix quotidiennes, où nous aurons à le reconnaître et croire en son Esprit à l’œuvre au milieu de nous. Oui, le Royaume de Dieu est tout proche de nous entendons nous aujourd'hui dans l’Évangile de Luc et volontiers je compléterai par cet autre verset en saint Jean : le Royaume de Dieu est tout proche, il est au milieu de vous. Me reviens alors cette histoire qui se passe au 18e siècle en Pologne je crois. Il s'agit d'un pauvre monastère où il ne restait plus que cinq vieux moines. L'Abbé étant allé rendre visite au Rabbin voisin, lui demande, dans la conversation, quelles perspectives d'avenir il verrait pour le monastère. Le vieux Rabbin ne sait que dire puis se ravisant, dit à l'Abbé : vivez comme si le Messie était parmi vous, comme si l'un de vous cinq était le Messie. Rentré au monastère, l'Abbé s'en ouvre à ses frères dont le premier réflexe sera de dire : « Frère untel ? Non. Frère untel, certainement pas !... Et ainsi de suite ! Mais peu à peu, dans le doute et la bonne crainte d'être vraiment en face de ce Messie qui serait donc de retour, chacun des frères aura un tel respect, une telle révérence, un tel amour de l'autre que c'en sera un vrai témoignage rayonnant et contagieux qui fera dire aux visiteurs que le Royaume était déjà au milieu d'eux. Et bien entendu, l'histoire se termine très bien : Et ils eurent beaucoup de petits et jeunes frères. Au delà de l'historiette, l'on peut voir aussi que lorsque deux ou trois sont réunis en son Nom, Il est au milieu d'eux et que grandit le Royaume. Un royaume déjà là au milieu de nos nuits, morts et tombeaux. Un Royaume aux valeurs si paradoxales par rapport aux autres royaumes. Un Royaume dans lequel, comme le dit saint Paul, l'on doit mettre sa fierté dans la Croix du Christ qui n'est plus signe d'échec et de mort mais selon la sagesse de Dieu, signe d'un amour qui nous accompagne jusque là, signe du don de la vie en vue d'une création nouvelle. Et pour tous ceux qui suivent cette règle de vie, poursuit saint Paul : Paix et miséricorde. Alors avec Isaïe, nous pourrions nous réjouir de ce Dieu vivant qui nous veut vivants. « Vos os revivront comme l'herbe reverdit. Le Seigneur fera connaître sa puissance à ses serviteurs » et même plus, pour paraphraser saint Jean, Il fera connaître son amour à ses amis. Oui, voilà une Bonne Nouvelle que ce Règne de Dieu qui est proche de nous, au milieu de nous, alors de la place où nous sommes, n'ayons pas peur de l'accueillir, de le laisser approcher sans cesse au cœur de nos vies où finalement Il nous précède déjà.
Frère Philippe-Joseph
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE