C’est une des pages de l’Évangile où l’on approche de plus près le mystère de Dieu, et il n’est pas étonnant que nous ayons du mal à nous représenter ce qui se passe ici, puisqu’il s’agit de voir quelque chose de Dieu. On avait déjà entendu sa voix, lors du baptême de Jésus dans le Jourdain. Aujourd’hui on l’entend de nouveau, mais surtout on peut voir.
Que peut-on voir ? Quelque chose d’indescriptible, qui déconcerte les évangélistes.
L’insuffisance de nos mots humains pour dire ce mystère est fortement soulignée ici : silence que gardent les disciples après cette expérience, réaction maladroite de Pierre, qui ‘ne savait pas ce qu’il disait’, impossibilité de décrire ce que l’on voit : « son visage devint autre », écrit Luc, c’est bien vague. Apparaît soudain une lumière éblouissante, comme celle qui avait manifesté autrefois la gloire de Dieu dans une colonne de feu et sur le Sinaï, mais cette fois c’est dans le corps d’un homme, qui devient tout entier lumière, reflet resplendissant, sur le corps même de Jésus, de la gloire de Dieu.
Et pour qu’on ne doute pas de la réalité de cette révélation et de son importance majeure, Dieu convoque deux témoins de ses manifestations d’autrefois : Moïse et Élie. À Moïse, qui avait demandé à Dieu la grâce de voir sa gloire, le Seigneur s’était fait apercevoir de dos, puisqu’on ne peut pas regarder Dieu en face sans mourir. Et devant le prophète Élie, Dieu était passé dans le souffle d’un vent mystérieux, mais à son approche Élie avait dû se voiler le visage avec son manteau.
Pour les trois apôtres aujourd’hui, c’est une heure de lumière, qui leur révèle en Jésus ce qu’ils ne soupçonnaient pas encore, ou que peut-être ils pressentaient à peine : « ils virent la gloire de Dieu » dans une extase, comme en sommeil. La nuée, qui est le signe de la présence lumineuse de Dieu, les enveloppe eux aussi, les consacre, les unit à Jésus dans une communauté de destin. ‘Maître, il est bon que nous soyons ici.’ Nous sommes avec Dieu, nous sommes heureux. Inutile d’aller plus loin, de chercher autre chose : on plante la tente de la Rencontre, comme Moïse dans le désert.
Eh bien non, il ne s’agit pas encore de s’installer dans le repos de Dieu, il faudra d’abord passer par la Passion, qui est annoncée par l’évocation de ce « départ » dont Jésus s’entretient avec les deux prophètes.
Pour nous aussi cet événement est une révélation de première importance, pour notre foi et notre manière de concevoir et de mener notre existence de chaque jour. La Transfiguration n’a été qu’un éclair fugitif ; ce qui nous en reste, c’est la parole venue du ciel qui, elle, ne passe pas et donne à cet événement son sens durable : Écoutez-le.
Jésus est le Fils bien-aimé de Dieu qu’il faut écouter, la Parole dont il faut vivre. Après la Transfiguration, il faut se relever et reprendre la route avec Jésus, à l’écoute de son Évangile : c’est en vivant de sa parole qu’on vit en présence de Dieu. On sait désormais que la gloire de Dieu n’est pas réservée au monde invisible, celui de la résurrection, mais qu’elle est présente au milieu de l’histoire que nous vivons, en la personne de Jésus qui vient à nous tous les jours. La grisaille monotone que peut être notre vie n’est que l’envers d’une réalité éblouissante, la présence de Dieu et son action en nous, et nous pouvons nous y ouvrir et la retrouver dans la prière.
Le récit que nous fait saint Luc baigne en effet dans un climat de prière. Jésus avait pris avec lui ses trois disciples pour prier, et c’est tandis qu’il priait que la gloire de Dieu se déclara. Cette indication est discrète, mais son incidence sur notre vie de tous les jours à la recherche de Dieu est importante, car la prière reste sans doute la forme la plus familière de notre relation à Dieu, et la condition de tout progrès dans son intimité.
Écouter Jésus et le suivre pour aller à la rencontre de Dieu, voilà comment la liturgie nous présente ce matin notre vie, nous invitant à faire de ces semaines de Carême un acheminement vers le rendez-vous de Pâques, à faire de chaque événement et de chaque décision, et à un titre privilégié de l’eucharistie, une façon d’aller au devant du Seigneur et de reconnaître qu’il est là.
Fr. Thomas
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE