Is 62,1-5; 1 Co 12, 4-11; Jn 2, 1-11
Voilà une page d’évangile relatant l’histoire bien connue et en apparence si simple d’une noce où l’on manque de vin, l’histoire bien connue d’un singulier miracle de Jésus transformant en vin de qualité une grande quantité d’eau à la propreté douteuse parce que dans des cuves d’ablutions. Mais, au delà de l'imagerie folklorique de cet épisode qui est propre à l'évangile de Jean, en quoi pourrait-il nous concerner, nous toucher ? Peut-être nous révélerait-il bien la délicatesse et l’humilité d’un Dieu pour qui le quotidien des hommes dans les joies et leurs souffrances n’est pas sans son poids de sens, de signification ? Épisode bien concret qui est si riche d’une signification dont le dévoilement, comme c’est souvent le cas dans l’Évangile de Jean, ne va pas être immédiat et va requérir un peu d’attention, notamment quant à la place de ce passage dans la chronologie des premiers signes de la vie publique de Jésus. Le miracle des noces de Cana intervient en effet au terme d’une semaine commencée dans le désert avec la prédication de Jean Baptiste, avec le baptême et de l’appel des premiers disciples. Nous sommes donc juste avant sa première montée, sa première Pâques à Jérusalem qui annonce déjà sa Passion et sa Résurrection. Mais nous sommes toujours en quelque sorte dans cette ambiance de Noël, d’Épiphanie et de baptême, bref dans l’ambiance de ce mystère d’incarnation, de ce mystère du partage total de notre humaine condition dans laquelle Jésus est venu nous rejoindre ici, aujourd’hui comme à Cana qui est donc le lieu de deux miracles de Jésus, de deux signes de Jésus et dont le nom lui-même n’est pas sans signification. Cana, étymologiquement le lieu des roseaux, pourrait bien rappeler en effet la fameuse mer des roseaux que le Peuple d’Israël traversa à pieds sec pour sortir de la servitude d’Égypte et entrer dans cette alliance de vie proposée par Dieu. Alliance de vie pour des vivants qui ne sera pas sans grandes exigences et que Cana va bien nous rappeler.
Cana, lieu de deux significatifs signes d’Alliance et de vie manifestés par Jésus qui s’y rend toujours sur invitation : la première fois pour un mariage, une fête d’alliance, la seconde fois, pour la guérison et le retour à la vie du fils d’un haut personnage, d’un officier royal. Deux passages aux connotations pascales fortes et qui se terminent toujours par un acte de foi, par le verbe croire : « Et ses disciples crurent en Lui. » « Et l’officier crût, lui et toute sa maisonnée. »
Des signes aux accents de Pâques qui vont traduire en quelque sorte que la présence de Jésus, aussi humble, discrète et familière soit-elle, n’est jamais neutre et ne peut que transformer, dilater ce qui s’y trouve, si tant est que nous ayons la présence d’esprit de l’inviter, de lui ouvrir la porte. A Cana Jésus va donc commencer à donner saveur à ce qui n’en avait plus et aussi donner vie à qui allait mourir. Mais voilà que cette présence n’est pas soulignée n’importe comment et que Marie n’y a pas peu sa place dans cette révélation, du moins pour le signe des noces. Une place toute d’attention et de délicatesse de Marie qui semblerait rabrouée par Jésus lui-même qui en fait l’inviterait à un acte de foi toujours plus grand. Une place toute d’attention et de délicatesse qui nous inviterait à être attentifs, à écouter la parole de vie de son fils : « Faites tout ce qu’Il vous dira. » Certains Pères de l’Église ont aussi vu un parallèle entre Marie à Cana et Marie au pied de la Croix, entre ce repas de noces et la dernière Cène. Pour Irénée de Lyon, ce vin à Cana symboliserait bien le sang eucharistique qui sera versé sur la croix au pied de laquelle se tenait Marie mère de l’Église recevant le disciple bien aimé pour fils. Pour d’autres, le vin symboliserait le don de l’Esprit qui ne sera donné qu’après l’accomplissement de la Passion, de la mort et de la Résurrection. D’autres encore, comme Origène, pensent que ce vin symbolise la Sagesse, l’Écriture : si la Loi et les prophètes viennent à manquer et à perdre leur goût, Christ vient leur donner une nouvelle saveur mais en partant d’eux, sans vouloir les abolir mais les accomplir. Et il est bien significatif de constater que ce vin n’arrive donc pas n’importe où mais dans six cuves, six est un chiffre d’incomplétude, six cuves d’ablutions rituelles représentant bien la précédente alliance et qui vont servir de réceptacles au vin nouveau de la Parole faite chair, de la Sagesse faite chair, du Verbe fait chair qui a habité parmi nous.
Et pour nous, cela voudrait signifier que la présence accueillie du Seigneur dans nos vies pourrait avoir des conséquences aussi incroyables que celles de l’ordre d’une eau stagnante et malpropre changée en vin excellent. Cela voudrait-il dire que si nous commençons un tant soit peu à faire ce qu’Il nous dit, selon la recommandation de Marie, en commençant par écouter avec attention, nous pourrions bien trouver au cœur de nos vies ce vin nouveau et le partager à notre tour voire en quelque sorte être presque vin nouveau pour les autres mais chacun selon son espèce, selon son cépage, selon son charisme propre à discerner en vérité. Si par nos seules forces nous risquerions de n’être que déserts stériles, sa présence pourra bien nous dévoiler en vérité notre voie, notre vocation, nos charismes propres et nous faire devenir en abondance terre fertile, terre d’une joie spacieuse et d’une espérance contre toute espérance. Osons alors rentrer un peu plus dans cette Heure du Christ dans ce temps du Christ Ressuscité qui ne cesse pas de venir en tout temps comme le disait saint Bernard et où notre vie prendra alors tout son poids de gloire, c’est à dire toute sa densité, tout son sens.
Oui, osons l’écouter et commencer à faire ce qu’Il nous dira pour que déjà en ce monde nous puissions donner nous même à boire, partager ce breuvage pouvant désaltérer nos frères et sœurs, pouvant permettre d'entrer dans une traversée de la mer des roseaux, dans une pâque, un passage sur un chemin de la mort à la vie, pouvant donc donner saveur, espoir et amour, espérance contre toute espérance même au cœur des pires difficultés et des plus grandes divisions. La semaine de prière pour l’unité des chrétiens qui s’ouvrira demain pourra nous y inviter.
f. Philippe-Joseph
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE