« Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite (...) » (Lc 13, 24a)
Quelle est-elle cette porte étroite ?
Et si cette porte n'était autre que nous-mêmes, ouverte dans un certain sens de l'intérieur pour laisser justement le Seigneur s'efforcer d'entrer par la porte de notre cœur. Nous-mêmes tournés vers lui, car l'amour est là, à la porte de notre cœur. Comme avec la femme du prophète Osée, le Seigneur nous dit : « C'est pourquoi je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur. Là, je lui rendrai ses vignobles, et je ferai du val d'Akor une porte d'espérance. » (Os 2, 17a)
L'effort vital pour notre foi, notre espérance pourrait bien être cette ouverture à la grâce qui nous est faite d'être appelé par le Christ. Mais suffit-il d'entendre que Dieu frappe à la porte ? Suffit-il d'entendre et d'écouter son enseignement ? Suffit-il de communier à son corps et à son sang ? Serait-il là l'effort pour entrer par la porte étroite ? Oui, peut-être. Mais peut-être que pas seulement ou insuffisant ou encore que trop facile car la propre vie du Seigneur est radicalement plus exigeante. La porte étroite que le Seigneur nous demande d'ouvrir est celle de devenir « Bonne Nouvelle » par notre vie même vécue dans son amour. Comment ?
Peut-être, en n'ayant jamais où reposer la tête, en étant toujours sur la brèche, en étant toujours sur le départ à la recherche de la porte d'espérance d'une patrie meilleure. Peut-être en luttant pour que notre vie soit toujours plus parlante en elle-même du ressuscité au-delà de toutes nos bruyantes paroles et de nos œuvres visibles.
C'est tout l'art du combat spirituel que de passer la porte étroite en fermant celle des désordres égoïstes, des jalousies mesquines, du quant-à-soi, de verrouiller la porte de la complaisance à nos médiocrités toujours à l'affût d'un mauvais coup à nous jouer. C'est cette porte qui est aussi la plus dangereuse car elle pourrait bien être celle d'une liberté illusoire où l'autre, le frère, la communauté, Dieu n'existerait que pour me servir selon mon désir jaloux, selon mon projet égoïste, où une certaine pratique rituelle serait là pour me rassurer à bon compte. Dangereuse cette porte parce que vermoulue, morte et stérile et qu'elle n'ouvre sur rien ni personne.
Or, Dieu nous montre par son Fils qu'il est cet Autre qui nous porte en lui en demeurant en nous. Seulement, il nous appartient de l'y rejoindre, de lui ouvrir la porte derrière laquelle sa demeure sainte nous est préparée et nous attend. Et vers laquelle il nous convie inlassablement. Il nous appartient alors de nous efforcer d'entrer dans l'espace toujours plus grand, nouveau et éternel de la sainteté de Dieu, de sa grâce nous vidant du trop plein du vieil homme pour nous emplir sans cesse de sa présence.
Ainsi, cette porte ne peut s'ouvrir sans passer par la porte de l'autre qui m'appelle à cette ouverture. Deux portes doivent être ouvertes ; celle du Seigneur l'est toujours, l'autre, la mienne ne dépend que de moi ; le véritable enjeu se trouve là dans l'ouverture de ma porte. Chaque porte est unique. Nous allons de porte en porte, franchissant des seuils, traversant des pièces de lumière et de ténèbres, constatant des espaces clos, des ouvertures, des impasses. Ce cheminement, c'est celui de la fraternité. Ma porte pour le passage étroit, c'est mon frère, autrui. Ma porte se fait-elle source pour soulager d'un verre d'eau ? Ma porte s'ouvre-t-elle pour une visite ? Ma porte se revêt-elle de l'hospitalité pour vêtir, donner à boire, accueillir celui qui me dérange dans son étrangeté obscure voire inquiétante, dans sa personnalité, dans sa culture, dans son histoire ?
Il y a donc bien un combat spirituel à mener qui ne fera jamais l'économie du temporel, c'est un combat incarné ; un combat spirituel à mener pour laisser le Christ entrer dans sa vie, le laisser pénétrer dans la chambre de son cœur, pour devenir convive avec lui. Et il faut s'y préparer chaque jour car si nous ne le faisons pas ici-bas entre nous les frères, entre nous les hommes, comment le ferons-nous pour Dieu, le plus étranger des étrangers à l'heure inconnue de sa venue ? Déjà, dans le 1er livre des Rois, Salomon lui-même dans sa prière pour le peuple demande à Dieu : « Exauces toutes les demandes de l'étranger. Ainsi, tous les peuples de la terre, comme ton peuple Israël, vont reconnaître ton nom et te craindre. » (1R 8, 43) Comment ne pas faire alors ce que nous demandons à Dieu de faire pour nous qui lui sommes si étrangers ? Car nous sommes toujours plus ou moins l'étranger de notre prochain.
Finalement, à l'heure où certains discours médiatiques soulignent des racines chrétiennes, une identité, une histoire, une culture chrétienne de l'Europe que l'évidence du bon sens et qu'une simple connaissance toponymique de la France par exemple suffisent à deviner, le chrétien doit surtout se rappeler que son christianisme est devant lui, que la porte est devant lui, que sa croix n'est pas en arrière mais en avant. Le christianisme est semence, préparation, promesse ; il n'est en rien sa propre fin ici-bas, il n'est pas la moisson et encore moins le moissonneur. Ce qui fait la valeur du notre foi chrétienne, qui lui donne toute sa noblesse, sa force et sa saveur, c'est le fruit qu'elle porte en gestation, qu'elle prépare et qu'elle attend : le retour du Seigneur, l'avènement de Dieu au dernier jour où nous chanterons alors d'une seule voix : « Ouvrez-vous portes éternelles, le Roi de gloire va entrer. » Amen.
fr. Nathanael
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE