Jésus dans l'évangile de ce dimanche nous rappelle comme à ses disciples la nécessité de toujours prier sans se décourager. Mais en bon pédagogue, son encouragement à prier est aussi une leçon pour nous montrer la prière. Non comme une méthode. Non comme une technique qu'il suffirait d'appliquer une fois apprise pour se dire ensuite : « Voilà, désormais je sais prier. » mais plutôt comme un acte de foi, d'abandon ; comme une attitude du cœur dans une relation personnelle à Dieu et aux hommes.
D'ailleurs, nous serions bien présomptueux de le croire lorsque les disciples de Jésus, eux-mêmes juifs, vivant dans une société fortement imprégnée de religiosité et de piété et donc probablement hommes de prière demandent à leur maître par ailleurs : « Seigneur, apprends-nous à prier. » (Lc 11, 1). Jésus par son être, sa vie, sa prédication nous laisse entendre que nous ne savons pas prier. Dans sa lettre aux Romains bien plus tard, saint Paul le redira encore : « Nous ne savons pas prier comme il faut. » (Rm 8, 26b). Même Moïse aura besoin du soutien d'Aaron et d'Hour pour sa prière ; nous l'avons entendu dans la première lecture. Alors... Alors c'est là justement une libération, une dilatation pour notre prière car cela signifie que nous n'avons plus à nous inquiéter tant de savoir prier puisque notre Seigneur le sait bien et qu'il nous le dit. De toute manière ce n'est pas cela non plus qu'il nous demande ; sa question au final de l'évangile l'indiquerait en ce sens semble-t-il.
La prière et nous en faisons l'expérience au quotidien est toujours une relation à l'autre par excellence Dieu ou à mon prochain d'ici-bas dont j'espère quelque chose que je ne puis par moi-même parce que trop faible, trop pauvre, trop démuni d'une manière ou d'une autre et qui me situe alors en relation de dépendance, d'attente, d'incertitude c'est-dire en situation de précarité ; pourrait-on presque dire en situation de prière car c'est bien la même étymologie.
Il y un juge, dépourvu de justice nous dit Jésus, qui ne craint pas Dieu et ne respecte pas les hommes et une veuve qui demande justice contre son adversaire. Le juge l'a fait attendre avant de rendre justice.
Mais la veuve persévère tellement dans sa demande que le juge désormais ennuyé finit par céder pour ne plus être assommé. Et Jésus de clore sa parabole par cette question : « Le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Cette veuve aurait-elle les moyens de sa requête, d'y mettre les formes ? Aurait-elle les moyens d'amadouer, de séduire ou encore d'acheter ce juge pour parvenir à ses fins et obtenir justice ? Aurait-elle des mots magiques, une recette éprouvée pour voir son désir réalisé ? Sa condition de veuve et son attente de justice nous disent plutôt que non et au temps de Jésus c'était une condition très basse parfois proche de l'indigence que celle de veuve. A-t-elle les moyens de sa prière, de sa mendicité de justice face à un juge ne craignant Dieu et ne respectant pas les hommes ? Qu'a-t-elle ? Qu'a-t-elle en vérité au fond de son dénuement existentiel ?
Elle croit. Elle croit, non pas avec sa tête, par des discours, des raisonnements, des évaluations mais avec son cœur de croyante. Dans son cœur, elle persévère et elle croit avec la force de sa foi que ce juge a le pouvoir de lui faire justice lors même qu'il semblerait y être insensible. Son cœur cogne si fort avec tant d'insistance qu'elle assomme ce juge qui finit par lui rendre justice tellement il en a marre. Admirable prière de cette veuve. Splendeur d'une mendicité qui ne se regarde pas le nombril mais qui se tourne vers un juge dont elle ne désespère pas quand bien même les signes lui semblent contraires et défavorables.
Simplicité de Jésus dans cette leçon de vie spirituelle édifiante et revigorante pour notre propre prière car il nous fait saisir par là que la prière est un acte de foi avant d'être une opération mentale, un acte cérébral. C'est capital. La foi nourrie de la Parole et dans l'Esprit Saint fait la qualité de la prière quelles que soient nos auto-appréciations bonnes ou mauvaises. Certes, la prière passe par la pensée, l'intellect mais elle y est à jamais irréductible car sa source c'est un cœur croyant en Celui qui est prière vivante et éternelle : le Christ, notre espérance.
La prière du cœur fait la prière de la tête. La foi en Jésus-Christ ressuscité, l'écoute de sa parole sont la matrice de toute prière tournée vers lui et en lui. Et la demeure de la foi c'est le cœur ; un cœur en quête continuelle de justice, de paix et du seul juge qui puisse lui offrir ce qu'il désire : l'Amour, Dieu et sa résurrection promise pour la vie éternelle. « Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l'amour. » nous dit saint Jean de la Croix.
« Le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » Il ne nous appartiendra jamais sur cette terre de le savoir avant l'heure ni chez qui car Dieu seul le sait, car Dieu seul fait le cœur de l'homme à partir de sa prière et de son désir d'union à son Fils dans la communion de l'Esprit. Amen.
fr. Nathanaël
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE