On le connaît bien ce passage de Zachée qu’on lit traditionnellement pour la fête de la dédicace d’une église. Ce matin, cet épisode nous est présenté, on pourrait dire éclairé, par deux phrases que je retiens : l’une de la Sagesse que je signalais au début de cet office : « Maître de la vie dont le souffle impérissable anime tous les êtres » et par cette autre phrase de saint Paul qui prie « pour que Dieu nous trouve dignes de l’appel que nous avons reçu ».
Qui est digne de l’appel de Dieu ? Personne ! Dans le rite de l’ordination d’un prêtre, l’évêque pose la question : « Est-ce qu’il est digne d’être ordonné ? » Non, personne n’est digne d’être prêtre, tout au plus on peut essayer de le devenir, ce qui est différent. Qui est digne de la vie ? Chacun de nous, qu’avons-nous fait pour être conçu ? Rien ! Nous n’existions pas ! La vie est un don purement gratuit pour lequel nous ne pouvons rien au départ ! Zachée était-il digne de recevoir Jésus chez lui ? Non ! Collecteur d’impôts, pire que ça : chef des collecteurs d’impôts ! Ce qui veut dire qu’il a fait toute sa carrière, et ces collecteurs d’impôts, d’impôts romains, avaient mauvaise réputation : tout le monde pensait qu’ils se servaient les premiers comme c’est toujours le cas, souvent, aujourd’hui, et c’est probablement vrai ! Toutes ces richesses qu’il a, c’était un homme riche, il dit qu’il va en donner la moitié. Comment les a-t-il acquis, ces biens ? Tout laisse penser que ce n’est peut-être pas d’une manière tout à fait honnête. Donc, personne n’est digne de la vie, personne n’est digne de l’appel de Dieu : ça c’est notre situation radicale, c’est notre dénominateur commun à tous, personne n’est digne !
La vie que nous recevons de Dieu, comme dit la Sagesse, l’appel que nous recevons de Dieu : pur don gratuit ! Qu’en faisons-nous ? Voilà la question. Un des signes de la vie, même pécheur, même collecteur d’impôts, même chef des collecteurs d’impôts, un des signes de la vie c’est le désir de voir Jésus qui devait passer par là. Quelle que soit notre situation, plus ou moins reluisante, tant qu’il y a la vie en nous, il y a la possibilité d’un désir, il y a des désirs ! Et la question qui nous est posée c’est : quels sont tes désirs ? Que veux-tu ? Que désires-tu ? Il désirait voir Jésus. Cet homme que tout laisse à penser qu’il pensait surtout à lui jusqu’ici et qu’il avait accumulé suffisamment de choses, probablement au détriment des autres, voilà qu’il se met à désirer quelqu’un d’autre que lui, ce Jésus dont il a entendu parler probablement… Et qu’est-ce qu’il fait ? Il monte sur un arbre parce qu’il était de petite taille, c’est le côté sympathique de Zachée. Aucun complexe, le chef des collecteurs d’impôts qui grimpe sur un arbre, aux yeux de tous, pour suivre son désir. Aucun complexe ! Voilà le départ, voilà ce qui accompagne son désir. N’ayons pas de complexes ! Suivons nos désirs quand il s’agit de voir Jésus, sans complexes, peu importe ce que diront les gens : « riez si vous voulez, ça m’est égal, moi je veux le voir, je veux le voir au moins passer ! »
Et à ce moment-là, quand Jésus passe, quand Jésus passe devant ce désir et ce regard curieux, mais curieux au bon sens du terme, il le regarde et lui dit : « Descends, il faut que j’aille demeurer chez toi ». Scandale pour les Juifs ! Entrer dans la maison d’un pécheur c’est ce que fait Jésus pour chacun de nous ! Descends, descends de ton personnage, quitte tes illusions, quitte tes projets, quitte tes intérêts personnels ! Puisque tu as commencé à me regarder, va plus loin, viens avec moi, ouvre-moi ta maison ! Et Zachée, aussitôt, sans complexe là aussi, honoré, on peut le penser, accueille Jésus et le miracle s’accomplit : ses yeux qui ont vu Jésus passer, ses yeux s’ouvrent sur peut-être tous ses biens mal acquis et sur les torts qu’il a pu faire aux autres parce qu’il était trop préoccupé par lui-même, intéressé par lui-même ! Il s’ouvre aux autres.
La demeure de Dieu en nous. Qu’est-ce qui fait que je peux devenir « demeure de Dieu » ? C’est quand je regarde au-delà de ma tente, au-delà de moi, quand je m’ouvre aux autres, quand j’essaie de voir non pas quels sont mes besoins mais ceux des autres ! Alors c’est le salut. Et, ce jour dont parlait saint Paul dans la deuxième lecture, où il dit : « on va être rassemblés autour de Lui lors de la venue du Seigneur », nous serons rassemblés autour de Lui ! C’est déjà ce que vit Zachée : il est avec Jésus, et nous serons demeure du Christ dans la mesure où nous sommes rassemblés, ensemble autour du Christ, ce qui veut dire dans la mesure où nous sommes avec les autres, où nous nous tenons la main, où nous nous rassemblons, où nous faisons attention les uns aux autres, et c’est en faisant ça, qui ne se fait pas du jour au lendemain, c’est en faisant ça que, petit à petit, nous devenons un peu plus dignes, ou un peu moins indignes, de l’appel du Seigneur, de la vie qu’Il nous confie !
Confions-la, cette vie qu’Il nous confie, quelle qu’elle soit, heureuse ou malheureuse, confions-la au Maître de la vie pour qu’Il en fasse ce qu’Il veut, en sachant que cette vie elle est pour moi, mais aussi pour les autres.
P. Thierry
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE