Nous la connaissons bien cette parabole, trop bien et c’est ce qui fait problème. Nous savons ces choses-là, mais avons-nous compris ce que Jésus nous dit dans cette page d’évangile. Avons-nous compris, saisi, ou plutôt nous sommes-nous laissés saisir. Si nous avions compris vraiment, si nous avions été saisis par la réalité de cette parabole, tout serait tellement plus simple. Si les hommes d’aujourd’hui avaient saisi cette page d’évangile, le drame de la Syrie, de l’Irak, de la guerre et de la violence qui détruit, n’existerait pas…
Alors comment comprendre, saisir un peu mieux pour être saisis, pour éclairer notre marche vers Pâques et entrer déjà dans la joie de la résurrection ?
Les deux premières lignes de cet évangile nous présentent deux groupes de personnes. Écoutez : « En ce temps-là, les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l’écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux ……». De quel côté sommes-nous ? Qu’est-ce qui distingue les pharisiens, les scribes (les tenants de la loi, de la morale) et les publicains et les pécheurs ? Ce qui distingue aussi le fils prodigue de son frère aîné : Du prodigue Jésus dit qu’il « rentra en lui-même… » donc qu’il revient à son cœur ; il vit à ce niveau-là ; il écoute son cœur, comme il est dit que les pécheurs venaient pour « écouter » Jésus. Les pharisiens et les scribes, vivent au niveau de leur tête, de leurs idées, et le bruit que fait ce qui tourne dans leur tête les empêche d’écouter Jésus et d’avoir un cœur qui comprend. Pour comprendre un peu mieux, il me faut faire silence pour descendre de ma tête dans mon cœur, écouter ce qui se passe en moi dans la profondeur de mon cœur de pécheur.
Qu’est-ce que Jésus veut me faire comprendre, pour pouvoir faire de moi cet être nouveau dont parle Paul dans la 2ème lecture, « Frères, si quelqu’un est dans le Christ, il est une créature nouvelle. Le monde ancien s’en est allé, un monde nouveau est déjà né… »
Qu’avons-nous à comprendre ? Un seul mot, qui revient sur les lèvres du fils prodigue et qui est totalement absent des paroles de son frère aîné, nous donne la réponse : Père. Père, le mot revient comme un refrain : « combien d’ouvriers sans la maison de mon Père… Je me lèverai et j’irai vers mon Père et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi… » Pas une fois, le fils aîné ne dit : Père, dans les reproches qu’il adresse à son père. Dieu est « Père » et « Mère » nous dit l’Ecriture. La passion de Dieu, sa volonté est que les hommes le connaissent comme Père… Il est père d’une façon unique, Père absolument, Paternité-source. Il est Père sans avoir été fils " ce que jamais homme ne peut être, tout simplement parce qu'il est d'abord fils, parce qu'il n'est pas origine absolue, créatrice, commencement sans commencement. Dieu est, en effet, le Père " de qui toute paternité au ciel et sur la terre tire son nom…" (Ephésiens 3/15). C'est pour cela que Jésus, dans l'Evangile, dit: "N'appelez personne votre père sur la terre, car vous n'avez qu'un Père, le céleste…"(Matthieu 23/9) Pour ce Père il n’y a pas d’orphelins. Si les hommes ne reconnaissent pas Dieu Père, ils ne se connaissent pas comme fils de Dieu et ne se reconnaissent donc pas comme frères… Alors ça donne les guerres, les attentats, les exilés … Dieu-Père de tous, qui nous rend fils et frères peut rassembler les hommes. C'est ce que Madeleine Delbrêl appelait leur parenté théologale: " Peu de différences tiennent en face de ce titre commun de fils de Dieu. Les distinctions sociales vacillent, les catégories de valeurs humaines deviennent fragiles. Comme à la radioscopie disparaissent les vêtements, les muscles, tout ce qui n'est pas l'essentiel d'un organisme, ainsi, devant ce nom de fils de Dieu, tout disparaît de ce qui n'est pas de notre tendresse théologale, notre parenté théologale…"
Jésus veut que nous entrions dans cette tendresse théologale, cette parenté théologale, pour qu’il y ait la paix sur la terre. C’est la réalité qui peut changer notre vie, en changeant notre cœur, en nous apprenant à nous réconcilier, à pardonner, à aimer… Vous est-il déjà arrivé de pleurer toutes les larmes de votre corps en pensant à Dieu Père ? Si oui, vous avez peut-être un peu compris, saisi… Sinon, demandez cette grâce… C’est le plus important… Une vieille moniale du désert avait compris, elle s’appelait Rabbiah et vivait avec quelques compagnes dans le désert. Un matin Rabbiah se tient sur le seuil de son ermitage, avec dans une main un flambeau allumé et dans l’autre un seau d’eau. Ses compagnes lui en demandent la raison. « Avec le flambeau je veux incendier le Paradis et avec l’eau éteindre l’enfer, pour qu’à la fin du monde, il n’y ait pas des êtres sauvés et d’autres perdus, mais que tous soient rassemblés dans le cœur du Père, et je dis au Seigneur : Si, pour cela, une seule personne doit être exclue, ce ne peut être que moi, Rabbiah, la pauvre pécheresse… » C’est cela comprendre la paternité de Dieu dont l’amour peut tout sauver.
L’Eucharistie que nous célébrons nous fait comprendre cela. Savez-vous comment l’Ecriture appelle le pain azyme, nos hosties ? dont parle la première lecture de cette messe « un pain de misère ». C’est ce pain de misère qui devient le Corps ressuscité, la présence du Seigneur. Jésus transforme ainsi le pécheur que je suis en fils et en frère qu’Il est lui, parfaitement. Il fait ainsi de nous les artisans de la paix de Dieu pour notre monde. Amen !
P. André-Jean
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE