La parole de Dieu en ce quatrième dimanche de l'Avent est une belle illustration d'une foi à vivre au cœur même d'une réalité parfois déstabilisante surtout lorsque Dieu décide de s'en mêler. L'histoire du roi Acaz le rappelle : « Voici que la vierge est enceinte, elle enfantera un fils qu'elle appellera Emmanuel (c'est-à-dire : Dieu-avec-nous). » (Is 7, 14b) Un Fils est annoncé nous dit Isaïe.
Ce Fils est descendant de David selon la chair et Fils de Dieu selon l'Esprit de sainteté par sa résurrection d'entre les morts nous dit saint Paul. (Rm 1, 3-4)
Quant à la conception de ce Fils relatée dans l'évangile de Matthieu, elle est du point de vue le plus prosaïque inconcevable voire irrecevable. D'ailleurs ceux qui n'y croient pas nous le disent. Le bon sens commun sait très bien ce que la femme et l'homme doivent faire pour avoir un enfant avec ou sans la bénédiction de Dieu. Les hommes et les femmes du temps de Joseph et Marie ne le savaient pas moins.
Seulement voilà, une intervention divine est à l'œuvre dans notre humanité. Le Seigneur décide d'agir concrètement par son Esprit dans la nature humaine dont la raison est alors bien évidemment bouleversée et chahutée.
L'accomplissement de ce signe aura peut-être été compliqué pour Joseph à accueillir au moment de sa réalisation mais sa réponse dessine un Joseph admirable de force et de courage, de prévenance et de discrétion. Joseph se refuse à dénoncer publiquement Marie. Elle lui est accordée en mariage et avant qu'ils aient habité ensemble elle est enceinte. C'est troublant voire inquiétant pour Marie. Elle est enceinte certes par l'action de l'Esprit Saint, mais il est possible qu'alors des personnes de leur voisinage en dépit d'une certaine discrétion de Joseph aient eu la tentation de penser différemment, de colporter une autre idée. Un exégète, Armand Puig, le laisse entendre (Armand Puig i Tarrech, Jésus. Une biographie historique, Desclée de Brouwer, Paris, 2016, p. 213). Selon le livre du Deutéronome (Dt 22, 22-25), si une jeune fille vierge est fiancée à un homme et qu'un autre la rencontre et couche avec elle, les deux seront lapidés à mort. Bien que pure et innocente, on peut supposer que Marie soit peut-être menacée et Joseph sans ignorer cette éventualité.
Pourtant, pas de scandale, pas d'éclat de voix. Silence dans son cœur, silence dans sa bouche. Joseph d'une prévenance sans égale veut renvoyer secrètement Marie. En songe, l'ange du Seigneur le visite. Rassuré et confirmé par le message de l'Ange, Joseph ne crains pas alors de répondre à sa demande. Il prend Marie pour épouse en sachant qu'il n'est pas le père.
Si l'évangile ne dit rien de ce qu'aurait pu être la parole de Marie par rapport à sa situation de femme enceinte avant le mariage, il n'en demeure pas pour autant certain qu'elle n'ait eu aucune explication à donner à son futur époux Joseph, ni à rendre compte de cette situation pour le moins délicate et indisposante à son entourage. Peut-être y aura-t-il eu entre elle et Joseph des paroles pour essayer de comprendre le sens de cette réalité si déroutante. Mais le fait est que Marie est enceinte et ne connaît pas d'homme. Et Joseph la prend chez lui pour épouse. Joseph accueille Marie, sa parole. Et bien sûr, celle qu'elle porte en elle : le Verbe fait chair, Jésus. La figure de Joseph est un modèle de foi pour la nôtre dans sa sagesse, dans sa justesse à l'égard de Marie.
Joseph nous révèle que la foi c'est aussi la force d'un « fiat » d'action silencieuse, ouverte à l'insondable, au mystère et pourtant très réaliste. Il est présent et pleinement responsable, soucieux de Marie et de l'enfant à naître. Joseph est là. Sans le savoir, Joseph agit déjà comme un véritable époux et père. La Providence ne se trompe pas. De fait, Joseph se révèle bien l'homme de la situation, capable de l'action juste et bonne, celle qui préserve la vie. Ainsi, Joseph semble bien plus mettre sa foi en la parole de Marie et en sa pureté que dans l'évidence de la nature humaine et de sa raison. Son action parle au-delà de toute parole. Silence de Joseph. Il dit oui à Marie. Il croit Marie, il a foi en sa parole.
C'est le combat de la foi en la parole de l'autre et en la vie. Le combat de la foi en Dieu et en sa Parole passe par le combat de la foi en l'homme et en sa parole. Nous ne pouvons vivre notre foi en Jésus-Christ ressuscité d'entre les morts, notre foi en Dieu, sans croire en l'homme lui-même, capable certes du pire mais aussi du meilleur comme Joseph qui a veillé sur Marie et l'enfant.
Croire l'autre en ce qu'il dit, en sa parole pour un chemin de vie. Croire la parole au-delà d'une réalité qui dépasse parfois notre expérience commune jusqu'à l'invraisemblable, l'incroyable. En Dieu, croire l'homme capable de grandeur par sa foi : Joseph. En Dieu, croire la femme capable de pureté et de virginité : Marie. En l'homme, croire Dieu capable de s'affranchir de ses propres lois et de se faire enfant : Jésus. Nous croire aimés, sauvés et promis à la vie éternelle dans l'avènement du Fils de Dieu avec nous, mort et ressuscité, voilà bien le mystère le plus grand qu'une partie de notre humanité n'ait jamais cru, proclamé, célébré et attendu. Amen.
Fr. Nathanaël
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE