« Le Père et moi, nous sommes un. » Le très bref verset final de cet évangile nous donnerait bien la clef pour entrer dans l’intelligence des textes de ce dimanche traditionnellement appelé dimanche du Bon Pasteur et qui est aussi celui d’une prière spéciale pour les vocations en cette année de la miséricorde. Textes dans lesquels nous retrouvons à chaque fois le mot vie, comme pour nous faire comprendre d’où vient la vie, notre vie, où en est la source et surtout quel en est son aboutissement ou plutôt ce que notre Dieu Vivant veut pour nous : la Vie, la vie éternelle, pas moins. Une vie éternelle à laquelle nous sommes tous destinés comme le rappelle le passage des actes des apôtres, tous destinés à être conduits aux eaux de la source de vie comme nous le dit l’Apocalypse, vie éternelle qui ne peut-être que donnée comme le précise enfin l’évangile de Jean dont l’un des thèmes majeurs est précisément celui de la vie. « Je leur donne la vie éternelle » y est-il donc écrit. « Je leur donne », le verbe est au présent comme pour signifier « Je leur donne » dès maintenant, aujourd’hui et si alors Je et le Père sont donc un, c’est que le Père serait bien la source de cette vie donnée, mieux, que c’est de cette communion du Père et du Fils dans l’Esprit que nous vient cette vie dès maintenant. Et nous percevrions alors déjà un petit quelque chose de ce mystère du dynamisme de la Vie Trinitaire vers laquelle nous avons à tendre dès maintenant, à laquelle nous sommes tous appelés dès à présent. Un mystère qui n’a pas fini de faire parler de lui, d’étonner si tant est qu’on veuille bien lui prêter attention. Un mystère qui peut aussi déranger voire indisposer ou scandaliser comme ce fut le cas pour les interlocuteurs de Jésus qui, nous dit le verset suivant que nous n’avons pas lu aujourd’hui, se mettent à ramasser des pierres pour le lapider puisqu’il ose se faire Dieu, blasphème évidemment intolérable. Oui, Jésus choque et dérange, encore aujourd'hui, mais nous voyons qu’après sa résurrection, ses disciples indisposent tout autant et c’est là aussi un autre point commun des textes du jour, point qui peut ne pas être neutre en ce dimanche plus spécialement consacré à la prière pour les vocations. Répondre à l’appel de Dieu dans sa vie n’ira pas sans quelques contradictions de la part de certaines mentalités ambiantes. Tous les textes d’aujourd’hui le rappellent, notre vocation de baptisés devrait être loin d’induire une façon de vivre conditionnée par ce que les gens attendent de nous ou par le seul respect humain. Notre baptême devrait plutôt nous inviter à répondre aux appels spécifiques que Dieu adresse à tout âge, à chacun, et à avoir le courage de témoigner. Oui, sur cet exigeant chemin de réponse aux appels de Dieu et de témoignage de sa foi qui pourra être douloureux mais dans lequel et pas ailleurs il y a à trouver sa joie et la vie d’éternité, le disciple risque de n’être pas mieux traité que le maître mais quel Maître ! Un maître qui ose donc affirmer que le Père, Dieu le Père et Lui sont Un. « Le Père et moi nous sommes un ». Une formulation qui se rencontrera à nouveau par deux fois au chapitre 17 de l’évangile de Jean avec une connotation communautaire très significative : « Pour qu’ils soient un comme nous sommes un ». Magnifique conséquence et explicitation de ce verset 30 du chapitre 10 : « Le Père et moi nous sommes un », comme pour montrer que la conséquence de la communion qui uni le Père et le Fils est l’amour mutuel des croyants, des frères parce que grâce à Jésus ils sont fils adoptifs d’un même Père, s’abreuvant à une même source de vie. « Qu’ils soient un comme nous sommes un », Ut Unum Sint pour reprendre le titre d’une très belle encyclique de Jean-Paul II (1995) et dont l’actualité œcuménique n’a pas fléchi. Une unité entre frères chrétiens séparés mais aussi au sein de nos communautés, unité qui n’appelle nullement à une uniformité briseuse de toute vraie vie, de toute diversité sinon de toute biodiversité voire ethnodiversité fraternelle. « Qu’ils soient un comme nous sommes un » n’a non plus rien à voir avec une quelconque fusion dans un grand tout divin indistinct car le fusionnel est mortifère. Oui, dans un apparent paradoxe, cette recherche d’une unité entre frères plus ou moins proches et cette poursuite d’unification de nos vies dans une humble simplification, une sobriété heureuse, devrait être témoignage d’une bonne Nouvelle pour notre monde aujourd’hui et devraient nous permettre de rendre grâce davantage pour la diversité et la fécondité de cette vie qui nous est donnée à tous, à nous tous de toutes nations, peuples, races et langues, milieux sociaux et cultures. Et la plus belle action de grâce que l'on puisse offrir alors à Dieu disait Saint Cyprien de Carthage au 3e siècle, c'est bien notre paix, la concorde fraternelle, le peuple rassemblé par cette unité qui existe entre le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Un rêve, une illusion lorsque l'on voit l'état de notre monde actuel si tourmenté ? Peut-être pas si l’on n’oublie pas ce mystère que Jésus notre frère et le Père, notre Père, sont un dans la communion de l’Esprit-Saint. Alors, en ce dimanche de prière pour les vocations, par delà nos différences fécondes, prêtons un tant soit peu notre attention à écouter la voix de ce bon Pasteur qui ne sait pas quoi inventer pour nous parler au fond du cœur, nous appeler chacun selon notre singularité, et nous conduire vers les eaux de la même source de vie, de Vie Trinitaire.
f. Philippe-Joseph
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE