Frères et sœurs, il y a quelques jours nous avons commémoré la Journée de la Femme. De tous temps, les femmes ont été victimes d’exclusion et de discrimination. Les évangiles nous montrent, comme aujourd’hui, que les mentalités n’ont pas beaucoup évolué depuis l’époque de Jésus… On peut se poser la question : où est l’homme dans cette histoire ? Si l’on a surpris la femme en flagrant délit, c’est bien que quelqu’un d’autre était avec elle ! Mais nulle mention de lui… Les scribes oublient un peu vite que, dans la Loi de Moïse, il est prescrit dans cette situation de tuer aussi bien l’homme que la femme : Si l'on prend sur le fait un homme couchant avec une femme mariée, ils mourront tous les deux, l'homme qui a couché avec la femme, et la femme elle-même. Tu ôteras le mal d'Israël (Dt 22,22).
Il est admis depuis longtemps que ce début du chapitre 8 a été ajouté à l’évangile de Jean, peut-être au IIIème ou IVème siècle, dans un contexte particulier de l’Eglise naissante. Une question brûlante se posait à ce moment-là : « Est-il possible de pardonner un péché particulièrement grave commis par un baptisé ? ».
Ce passage n’a pas été inséré au hasard dans l’évangile. Dans les versets précédents, Jésus se justifie devant les Pharisiens d’avoir guéri quelqu’un le jour du sabbat ; il dit : Cessez de juger selon l’apparence, mais jugez selon ce qui est juste ! (7,24). Et Nicodème, de son côté, prend sa défense en répondant ceci à ces confrères : Notre Loi condamnerait-elle un homme sans l'avoir entendu et sans savoir ce qu'il fait ? (7,51). Il apparaît donc clairement que l’ajout de ce passage dans l’évangile de Jean a pour but de pointer la précipitation des Pharisiens à juger de tout. Jésus est dans le collimateur des Pharisiens, parce qu’il va au cœur de la Loi. Sa miséricorde pour les pécheurs dérange.
Le Christ est le visage de la miséricorde du Père. Comme Jésus le fait pour cette femme, il se penche jusqu’à terre, jusque sur notre péché, pour nous relever. Sur la poussière dont l’homme est tiré, il écrit quelque chose de mystérieux qui n’est autre que la signature de sa miséricorde. Poussière, nous retournons à la poussière. Pécheur, je suis dans l’incapacité de juger du péché de mon prochain. Ne vous posez pas en juge, afin de n'être pas jugés ; car c'est de la façon dont vous jugez qu'on vous jugera, et c'est la mesure dont vous vous servez qui servira de mesure pour vous. Qu'as-tu à regarder la paille qui est dans l'œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton œil, tu ne la remarques pas ? (Mt 7,1-3). Oui, bien souvent soumis au péché, nous rampons sur le sol, comme le serpent tentateur renvoyé du jardin d’Eden. Le mal est tapi à notre porte, et il nous rabaisse. Jésus, contrairement aux Pharisiens qui humilient cette femme, ne la rabaisse pas. Il se met à son niveau, à terre, afin de la relever par son pardon et sa miséricorde. Lui qui est sans péché, il aurait pu lui jeter la première pierre. Mais il ne le fait pas. Jésus se met au niveau de notre péché. Comme dit saint Paul : (Le Christ) qui n'avait pas connu le péché, (Dieu) l'a, pour nous, identifié au péché, afin que, par lui, nous devenions justice de Dieu (2 Co 5,21). Il a payé pour nous libérer de la malédiction de la loi, en devenant lui-même malédiction pour nous (Gal 3,13).
Je m’interroge : pouvons-nous croire réellement que nous sommes définitivement sortis de la poussière ? Notre condition humaine est marquée à tout jamais par le péché, et seule la miséricorde peut recouvrir ce péché, comme un manteau habille une nudité. Par son silence devant la violence faite contre cette femme, Jésus rétablit le sens véritable de la Loi. Seul possède le droit de lapider, de jeter la première pierre, celui qui est sans péché à l’égard de la Loi. C’est pourquoi tous s’éloignent après la parole de Jésus, car tous sont pécheurs.
La Torah incarnée, c’est le Christ en personne. La Parole divine, qui avait été écrite sur des tables de pierre par le doigt de Dieu, ne peut plus servir à lapider. Jésus veut changer nos cœurs de pierre en cœurs de chair. La Loi est inscrite depuis toujours dans notre chair. C’est cela la signature de Dieu. Il suffit d’en prendre conscience. Aujourd’hui, dans le silence, Jésus met le doigt sur notre péché pour nous en délivrer. Et ce silence devrait suffire à nous faire comprendre sa miséricorde. Mais celle-ci est tellement incompréhensible ! Nous avons besoin, comme les scribes et les Pharisiens qui jugent de tout, d’une parole claire et limpide pour pouvoir accuser. Et que fait Jésus à ce moment-là ? Que dit-il ? Il nous laisse juger. Il nous met devant nos responsabilités en nous plaçant un miroir devant les yeux… « Regarde-toi bien, ôte la poutre de ton œil. Tu n’es pas meilleur que cette femme ».
Que le Seigneur nous aide à toujours garder sauve la dignité de chaque personne, malgré son péché. Moi et mon prochain, nous sommes dans le même bateau, dans la même Eglise de pécheurs pardonnés. Que le Christ nous relève et remette debout notre humanité : Va, et désormais ne pèche plus.
fr. Columba
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE