L’ ALLUMETTE DE LA LIBERTÉ
Vous avez entendu ? Jésus nous pose une drôle de question aujourd’hui, : « que faites-vous d’extraordinaire ? »
Ça, c’est une très mauvaise question. Parce que, de fait, grosso modo, nous ne faisons rien d’extraordinaire, moines ou pas moines, ni hier ni aujourd’hui ; il y en a même en ce moment qui regardent la télé. Rien d’extraordinaire !
Qu’est-ce que Jésus attend donc de nous, aujourd’hui ? Il n’y a pas de doute qu’il nous provoque, mais pourquoi ?
Eh bien, pour nous provoquer. Exactement comme disait une chanson : « comme un PETARD qu’attend plus qu’une allumette » !
Oui, l’évangile est une bombe mais il n’y a pas d’allumette, alors, à force de tourner autour, de remuer, de s’agiter, de fouetter sa parole, les homélies ne sont que de la mousse à raser…
Mais quelle est cette allumette que Jésus attend ?
Cette allumette, c’est moi, c’est toi, c’est chacun de nous : à savoir une personne, mais une personne inflammable, vraiment sensible, hypersensible. Si nous étions vraiment sensibles, l’évangile serait détonant. Or nous sommes anesthésiés. Il y a bien une petite goutte de phosphore en nous, mais elle a souvent été imperméabilisée par peur des mauvais traitements ou à force de mauvais traitements, comme si on avait plongé l’allumette dans de la mayonnaise industrielle ; alors on a beau gratter, gratter, ça ne marche plus, ça glisse…
Écoutons encore cette parole de Jésus :
« On t’insulte, on te donne une gifle ? Tu dis merci, tu tends l’autre joue ! Elle t’a pris ton T-shirt ? Eh ben donne-lui ton pull ! Un service à rendre pour x ou pour y ? Fais-en deux pour lui, pour elle ! »
C’est-à-dire pas seulement encaisser, céder, se laisser faire… mais en RAJOUTER. Parce que céder, c’est de la faiblesse, mais en rajouter, c’est de la liberté.
LA LIBERTE COMMENCE JUSTE APRES CE QUI RESSEMBLE LE PLUS À DE L’OBEISSANCE.
La liberté commence avec une douceur plus forte que la force.
Le meilleur commentaire d’un « père de l’Église », c’est peut-être celui de Shakespeare quand il écrit : « Celui qui se fait détrousser et qui sourit, celui-là dérobe quelque chose au voleur. »
Dans toute l’histoire des hommes, aucun homme n’a manifesté une liberté aussi éclatante que Jésus de Nazareth. Il a obéi à la perfection à la plus dure des lois, la loi de la mort… et puis il en a rajouté : il a ressuscité !
Plus librement qu’aucun autre, il a provoqué les tenants les plus tâtillons de la Loi, les pharisiens, et aussi les détracteurs de la Loi, les impies que nous sommes : rappelez-vous la semaine dernière, comme il parlait d’un simple regard de désir qui est déjà un « adultère », et aujourd’hui : « aimez vos ennemis, priez pour eux ! » Jésus ne laisse personne tranquille, il dérange.
Ce qui nous dérange sans doute le plus, c’est que l’amour ne soit pas réciproque. Ni dans nos vies ordinaires, ni dans l’absolu. Non, Dieu ne sera jamais réciproque. Vous aurez beau lui faire tous les mauvais coups, toutes les misères du monde, vous allez être surpris : il est libre, Lui, parfaitement libre. Il ne vous rendra pas coup pour coup. Il encaissera, et juste après, il vous surprendra.
Alors, ce qu’il attend de nous, mais nous n’avons qu’une vie pour le faire, c’est aussi une surprise, un petit rien de liberté, celle liberté qui commence avec la douceur, et qui va plus loin, une surenchère qui traduit un véritable amour.
Mais attention, non pas pour Lui, vis-à-vis de Lui. Inutile d’en rajouter dans la dévotion.
Et pas non plus pour ceux qui vous caressent dans le sens du poil, mais avec les autres, ceux qui vous hérissent, qui vous rabotent, qui vous grattent. Chacun a les siens.
Cela s’appelle accepter les autres, accepter l’altération. Tout au long de notre vie, notre amour le plus libre réside dans notre capacité à nous laisser altérer par la vie, les rencontres, les adversités même.
Frères et sœurs, si nous vivions un peu plus de cet amour-là, un amour qui consent à se laisser altérer, si on s’y mettait vraiment, ça ferait sans doute, l’air de rien, de multiples détonations simultanées, et l’air de rien, ce serait extraordinaire ! Amen.
frère David
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE