Samedi 7 novembre 2020, en la fête de saint Amarand, notre frère Salvy Ferréol est parti vers la maison du Père à l'âge de 98 ans.
Lc 17, 7-10
On sait que le moine fait vœu de stabilité. Dans le cas du Père Salvy, on peut dire sans se tromper que la stabilité fut poussée à l’extrême. Car si le moine devient stable en entrant au monastère, la stabilité du Père Salvy commence dès l’entrée en ce monde. Né tout près d’ici, de l’autre côté du Lézérou qui marque la clôture du monastère, dans le hameau de la Rive, il est mort à quelques centaines de mètres de sa maison natale.
Ce franchissement du Lézérou (qui tient plus du fossé que du ruisseau) le petit André Ferréol le fit souvent dans sa jeunesse pour aller voir les moines. C’est ainsi qu’il croisa Dom Romain Banquet, notre fondateur, ici ou chez les sœurs. Il entre à l’alumnat des frères en 6ème, à l’âge de 11 ans (nous sommes en 1933) et y restera jusqu’en 1938, ayant pris, entre temps l’habit de petit oblat. En 1939, à l’âge de 17 ans, c’est le début du noviciat. Profession temporaire le 14 septembre 1940 : nous venions de faire mémoire, au jour de la bénédiction abbatiale, de ses 80 ans d’engagement monastique.
C’est presque naturellement que ce fils du pays et fils de paysans, qui connaissait parfaitement les terres et les voisins, travailla à la ferme : d’abord Grange-Basse et Grange-Haute sur la commune des Cammazes où le monastère avait une exploitation, puis à En Jaurès à partir des années 50. Le Père Thierry, dans une lettre adressée au P. Salvy, témoigne de son apprentissage auprès de lui : « Avec une confiance souriante tu m'as initié à la traite des vaches, au tracteur, à la faucheuse, à charger une remorque de foin et de paille, à faire les tas dans la grange... Comment porter un sac de grain sur le dos et le vider sans le poser par terre. Souvenirs des journées de travail tous les deux à Grange-Haute où l'on partait après la messe que tu célébrais [tôt], pour sarcler les pommes-de-terre et les carottes dans ces champs si longs qu'on ne voyait pas le bout des sillons. »
22 ans de ce régime « agricole tarnais » quand soudain l’horizon s’élargit démesurément. Ce n’est plus le Lézérou qu’il s’agissait de franchir, mais la Méditerranée et le Sahara. P. Salvy était envoyé en 1972 dans la jeune fondation de Dzogbégan, au Togo. Celui qui n’avait quitté Dourgne que pour les chantiers de jeunesse et le STO se retrouvait, riche de son expérience, au cœur de l’Afrique Noire pour mettre en valeur cette terre opulente, et riche de promesses. Mais au bout d’un an, la maladie en décida autrement et c’est aux portes de la mort, entendant une infirmière dire de lui « il est foutu » que P. Salvy compris la valeur et la gratuité de la vie qui lui était donnée. Rapatrié en France il garda un amour de Dzogbégan qui ne se démentit jamais, assurant les « bases arrière » du monastère africain, envoyant conteneurs, palettes et colis des années durant. Il fut un secrétaire efficace de l’AAFOD (Association des Amis des Fondations de Dzogbégan).
Le voici donc revenu en France, dans le Tarn, à Dourgne, tout près de sa maison natale et du lieu où il devait mourir : Fatalité ? Non, nous n’y croyons pas, nous les chrétiens. Une grâce, mais qui ne s’imposait pas, qu’il fallait découvrir, comme toute vraie grâce de Dieu. Cette grâce du retour au pays, nous ne la savons pas nous-mêmes, elle reste le secret de Dieu et du P. Salvy.
Mais ce que nous savons, c’est la grâce qu’il fut ici pour tant d’entre nous, ses frères moines, bien sûr, mais aussi les habitants de Dourgne : en 1979, il devenait « vicaire » de la paroisse et le resta 22 ans, jusqu’en 2001. Car s’il connaissait les terres, il connaissait aussi les gens et les aimait. Son sourire, sa discrétion, sa gentillesse, sa disponibilité le firent aussi aimer d’eux.
Puis ce furent les dernières années, celles de la plus grande surdité, celles surtout du dépouillement, de l’entrée à l’infirmerie où il avait scrupule à peser sur ses frères. Il accueillait avec joie ceux qui venaient le visiter lorsqu’il ne put plus se déplacer seul. En particulier les frères du noviciat qui venaient le soutenir pour qu’il puisse faire trois pas. Durant la dernière hospitalisation, le médecin fut surpris de son insistance à vouloir rentrer « à la maison » comme il disait. Devant cette douce obstination, il n’y avait pas d’autre choix que de se rendre à son désir.
Mais son désir le plus profond, c’était de rejoindre son Seigneur, qui l’avait conduit un jour de 1972 aux portes de la mort et lui avait donné à la fois goût de vivre et goût de Le rejoindre. À n’en pas douter, comme dans l’Évangile de ce jour, à ce serviteur qui a labouré et gardé les bêtes puis servi ses frères à la table de la Parole et de l’Eucharistie le Seigneur dira : « Entre dans la joie de ton Maître. »
P. Emmanuel
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE