Singulière famille que la Sainte Famille de Jésus, Marie et Joseph, avec un fils unique fugueur qui se permet non sans affection de remettre en place ses parents. « Comment se fait-il que vous m'ayez cherché ? Ne saviez vous pas... ? » Déconcertant Jésus qui ne cessera pas de l'être tout au long de sa vie publique par ses questions et celle d'aujourd'hui n'est peut-être pas la moindre, presqu'en forme de reproche ; reproche affectueux bien sûr mais quand même...
« Ne saviez-vous pas ? » Un délicat reproche ici mais qui par la suite pourra tourner en virulentes apostrophes envers ses contradicteurs. Et l'objet de ce reproche, ce sur quoi Jésus semblerait donc s'attrister serait bien qu'on le cherche sans savoir où le trouver et bien évidemment, là où Il n'est pas et ne peut pas être. Il pourrait tout aussi bien s'attrister de ce qu'on ne le recherche pas, comme dans cette histoire juive du petit garçon jouant à cache-cache avec un autre enfant qui ne l'a finalement pas cherché et qui pleure à chaudes larmes. Et son grand-père de lui dire qu'il en va de même pour Dieu qui se cache et ne cesse de pleurer car personne ne le cherche vraiment.
Il y a bien des manières faussées de chercher Jésus et les Évangiles ne sont pas avares d'exemples : Hérode cherchera le nouveau-né Jésus... pour le tuer et après une multiplication des pains, beaucoup chercheront Jésus pour le pain qu'ils ont mangé à satiété. Il y aura aussi les saintes femmes se rendant au tombeau, qui elles, cherchent Jésus avec amour, et un ange leur viendra alors en aide. Et pour nous aussi pourrait résonner cette question de Jésus en nos existences : Ne le sais-tu pas que c'est là ou là que Je t'attends concrètement et non dans tes illusions. Pour Marie et Joseph, bien sûr, ils le retrouvent au Temple, mais Jésus ajoute cette énigmatique précision : « Il me faut être chez mon Père » ; d'autres traductions ont pu donner : « dans la maison de mon Père » ou « aux affaires de mon Père ».
Et alors, ce que nous aussi nous devrions savoir lorsque nous sommes tentés de Lui reprocher de briller par son absence ou de Le chercher où Il n'est pas, c'est qu'Il est inséparable de son Père et par là même, qu'Il fait une volonté autre que la sienne. Il le rappellera souvent tout au long des Évangiles, notamment en cet épisode où Il dira de façon cinglante : « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? (…) Celui qui fait la volonté de mon Père, voilà ma mère, mes frères, mes sœurs ».
La famille ne serait alors qu'un cadre, voire un environnement culturel, dont Jésus s'affranchirait allégrement ? Que non ! S'il y en a bien qui font véritablement la volonté du Père avec une foi immense c'est bien Joseph le juste, l'ajusté à cette volonté de Dieu qui le dépasse, c'est bien Marie qui a dit oui et qui gardait tout cela en son cœur, précieusement, avec soin, selon le sens du verbe grec employé ici : diatereo. Oui, Marie garde avec soin, en son cœur, ces événements, alors même qu’ils sont incompréhensibles sur l’instant. Du début à la fin de l’existence de Jésus, elle ne se laisse pas dérouter par l’étrangeté apparente du comportement de son fils, ni même par sa mort infâme.
Elle ne comprend pas tout ce qui lui arrive, mais elle sait qu’elle ne comprend pas, et sans s’affoler en fait l’objet d’une germination intérieure : un jour, tout s’éclairera. Comme les pièces d’un puzzle tombant de manière désordonnée sur une table, Marie ne perd pas une miette des événements, les met de côté, essaie de les assembler peu à peu, et attend, pleine d’espérance, que le motif général du puzzle apparaisse enfin à travers les morceaux éparpillés. Attitude intérieure de Marie qui pourrait devenir la nôtre alors même que nous ne comprenons pas toujours ce qui nous arrive. Il nous faudra parfois ruminer les événements, les tourner et retourner au dedans de nous jusqu’à ce qu’une parole, une rencontre les éclaire, les insère dans le puzzle de notre histoire personnelle. Les disciples eux-mêmes n'ont-il pas commencer à vraiment comprendre seulement à la lumière de la Résurrection ?
Et que comprendra notamment Marie, sinon l'essentialité, sinon la sur-essentialité de cette relation de Jésus au Père par l'Esprit. Le théologien Maurice Zundel, explicitant cela, parlait de « Dieu, éternelle communion d’amour » qui veut faire sa demeure en notre cœur grâce à l’Esprit. Insondable communion qui s'exprime dans le verbe, modulée par l'Esprit en un chant qui retourne au Père. Oui, Jésus faisant la volonté de son Père s'inscrit donc dans le dynamisme d'une relation qui ne le referme pas sur Lui, qui ne le transforme pas en idole de toute-puissance, mais qui au contraire l'ouvre par le don total de Lui-même, de sa vie qui rejoint nos vies en prenant chair de notre chair, et par là-même nous entraîne à entrer aussi dans ce dynamisme de vie trinitaire dont les familles pourraient bien être quelque part une image, une icône, par delà leurs inévitables blessures et souffrances internes. Les familles auraient donc à voir avec la vie trinitaire ? Oui, d'une certaine façon, elles en refléteraient bien quelque chose lorsque la différence des personnes qui la compose en ce qui devrait être une alliance féconde et non une confusion des genres, ouvre à la vie, à un amour qui les dépassent. Alors, quelque soit notre situation, les bienfaits ou les blessures qui ont pu être les nôtres en nos familles, si nous en avons eu une, osons nous inscrire dans cette filiation dont nous parle aujourd'hui saint Jean dans la deuxième lecture : Bien-aimés, voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu. Une filiation en apparence si simple à mettre en place : mettre notre foi dans le nom de Jésus et nous aimer les uns et autres comme il nous l'a commandé (Pas facile !). Une filiation qui ne sera pas sans incompréhensions de la part de certains, de beaucoup : « Voilà pourquoi le monde ne nous connaît pas : c'est qu'il n'a pas connu Dieu », il ne l'a pas cherché. Une filiation par laquelle l'on reconnaît ne pas être sa propre origine, son propre Dieu, mais recevoir sa vie de plus loin que soi-même. Une filiation à vivre en famille, en communauté et jusqu'à ce que le saint pape Paul VI appelait la grande « famille des nations » qu'est la communauté humaine, appelée, selon le souhait de notre pape François à prendre plus que jamais soin de notre « maison commune ».
frère Philippe-Joseph
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE