Quel étrange personnage que Jean-Baptiste ! Ce fils de prêtre, le fils de Zacharie, devrait être au Temple de Jérusalem et offrir des sacrifices et le voilà au bord du Jourdain en refusant toute forme de sacrifice, y compris en ne mangeant pas de nourriture carnée, et en proposant à la place un bain de conversion. Il réunit autour de lui une foule de petites gens, plus ou moins tenues à l’écart de la pratique du Temple, incapables de satisfaire aux règles complexes de la pureté rituelle à cause de l’exercice même de leurs professions ou de leurs activités diverses.
Or, Jésus commence sa vie publique là, non pas au Temple de Jérusalem mais auprès du Baptiste. Il dira plus tard que le temple c’est le Corps : « détruisez ce temple et en trois jours je le rebâtirai ! ». Il dira que le seul sacrifice qui vaille est le don de sa vie : « Tu n’as pas voulu de sacrifice ni d’oblation mais Tu m’as fait un corps alors J’ai dit ‘voici, Je viens, oh Dieu !’ ». Pour l’heure, Il se met en compagnie de Jean, Il se mêle à la foule des pauvres et des petits et Il se fait baptiser avec eux. Jésus Lui-même, à la suite de Jean, baptisera. Déjà Il donne à voir ce que sera sa mission : Il adressera, en priorité aux pécheurs et aux exclus, sa prédication, différente de celle de Jean. Il annoncera le Royaume, le Royaume qui vient et sa présence déjà au milieu de nous.
Et voilà que, descendant dans les eaux du Jourdain, Il reçoit la révélation de sa filiation divine : « Celui-ci est mon Fils Bien-aimé ! ». Fils, Il ne l’est pas devenu le jour de son baptême, Il l’était de toute éternité, mais Il est révélé comme Fils, Il est le Messie attendu, Il est le Fils qui va vivre sa vie dans une unité profonde avec Celui qu’Il appelle avec tendresse ‘son Père’, et comme on ne peut pas être fils sans être frère, Il sera le frère de tous et en priorité de ceux qui sont laissés pour compte. Il s’attablera avec eux, à l’encontre de Jean, Il ne craindra pas de prendre place à table, de manger et de boire, Il sera le frère d’une multitude de frères et aussi de sœurs, inaugurant un ordre nouveau de relations entre hommes et femmes, pas encore vraiment compris aujourd’hui. Il sera le Fils Bien-aimé, le Fils de complaisance, le Fils en qui le Père trouve toute sa joie.
Et Il révèle que nous aussi nous sommes fils, nous sommes fils dans le Fils, dans le Christ, par Lui, avec Lui et en Lui ! Nous sommes des fils et des filles de Dieu ! Telle est notre identité la plus profonde. Nous le sommes dès le sein maternel mais elle nous est révélée au jour de notre baptême. La filiation divine de Jésus rejaillit sur nous et nous portons désormais ce nom glorieux : être fils, être fille de Dieu ! Nous sommes les fils et les filles très aimés du Père. Jésus nous a appris à désigner Dieu du nom très doux de Père par lequel nous nous reconnaissons fils. Oh, nous y croyons, bien sûr, probablement pas assez, pas assez ! Imaginons, imaginons un instant que tout à coup nous comprenions, nous ressentions, nous ayons une conscience vive que nous sommes ses fils et ses filles, mais nous bondirions de joie, nos craintes s’évanouiraient, nos soucis s’estomperaient, nos visages seraient rayonnants, nos cœurs seraient légers ! Que sais-je encore… Eh bien, cette nouvelle, cette bonne nouvelle, aujourd’hui, est pour nous ! Oui, tu es le fils, tu es la fille très aimée de Dieu ! Peut-être tu m’objecteras qu’on est bien nombreux à être fils et filles, et alors ? Non seulement tu es son fils ou sa fille bien-aimée, mais encore tu es unique, chacun de nous est unique, on le voit jusqu’au bout de nos doigts dans les empreintes digitales. Nous sommes une multitude d’uniques ! Tu m’objecteras peut-être ton indignité… Tu es pécheur ? Et alors ? L’Amour du Père est inconditionnel : Il fait la fête pour le prodigue, Il ne lui laisse même pas le temps de raconter ses égarements, il y a mieux à faire, la fête n’attend pas ! Voilà ce qui a été dit le jour de notre baptême. Les Cieux se sont ouverts pour dire sur chacun de nous : « Tu es mon fils, tu es ma fille très aimé(e) ! ».
Poussés par l’Esprit, il ne nous reste plus alors qu’à continuer à inventer une manière de vivre comme fils, d’abord dans une relation confiante et très affectueuse au Père, et puis il reste à inventer la fraternité qui va avec car impossible d’être fils ou fille sans être frère ou sœur d’autres frères et d’autres sœurs. Tu es mon fils, tu es ma fille bien-aimé(e), en toi Je trouve ma joie !
P. Christian Salenson
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE