Il y a quelques jours, le P. Abbé nous commentait un passage du livre des Proverbes, où la fourmi, cet insecte si petit, nous est présentée comme maîtresse de sagesse. Le passage en question est le suivant : Va vers la fourmi, paresseux ! Considère sa conduite et deviens un sage. Elle n'a pas de surveillant, ni de contremaître, ni de patron. En été elle assure sa provende, pendant la moisson elle amasse sa nourriture (Pr 6,6-8). J’imagine que ce verset vous rappelle la fable bien connue de La Fontaine, avec la cigale et la fourmi ! La première est paresseuse, et l’autre, prévoyante. Un peu comme dans la parabole évangélique des vierges : certaines sont sages, et d’autres insensées.
Vous allez me dire : « Qu’est-ce que la fourmi a à voir avec le saint Sacrement ? ». Eh bien, le mystère du saint Sacrement, c’est exactement cela : il se passe quelque chose de très grand dans un geste tout simple, celui de la fraction du pain et le partage de la coupe. L’infiniment grand s’accomplit dans le presque rien, dans l’insignifiant. La fourmi amasse sa nourriture, petit à petit. En apparence, rien ne se passe. Et pourtant, tout est changé. Nous aussi, jour après jour, nous recevons la communion, ce don du ciel. Et nous sommes transformés par elle.
L’évangile choisi pour cette année nous donne à voir ce qu’est le miracle de l’Eucharistie, à travers celui de la multiplication des pains. Tout commence, ici aussi, par quelque chose d’insignifiant, cinq pains et deux poissons, dans un endroit inapproprié, un lieu désert. Et cela se termine par un excès, une abondance de restes : douze paniers remplis, qui figurent les douze tribus d’Israël, rassasiées par tant de biens. Tout cela nous rappelle l’épisode de la manne, que les hébreux recueillaient dans le désert.
Dans notre vie, nous expérimentons que ce qui nous nourrit le plus, c’est paradoxalement les petites choses dont je parlais à l’instant. Des miettes de pain, des petits bouts de Parole de Dieu nous rassasient jour après jour. Et nous les gardons dans la maison de notre cœur, comme la fourmi qui ramène sa nourriture dans la fourmilière. Ces miettes, qui tombent de la table des enfants, et que la Syro-phénicienne ramasse (cf. Mc 7,28), nous sont données çà et là au long de la journée, au cours de la liturgie. Le risque, surtout pour nous les moines, est de nous habituer à recevoir ces miettes, et de ne plus y prêter attention, tellement elles sont dérisoires. On pense spontanément que ce ne sont que des parcelles, et que l’essentiel est ailleurs. Hors, nous dit Jésus à plusieurs endroits dans l’évangile, le plus important réside dans ces choses minuscules. Sainte Thérèse de Lisieux l’a bien compris, elle qui a emprunté la « petite voie ». Quelques citations de l’Ecriture peuvent nous aider à entrer dans ce mystère du Saint Sacrement. Chez Matthieu par exemple, Jésus dit ceci : Gardez-vous de mépriser aucun de ces petits, car, je vous le dis, aux cieux leurs anges se tiennent sans cesse en présence de mon Père qui est aux cieux (Mt 18,10). Ou encore : Le roi leur répondra : « En vérité, je vous le déclare, chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces plus petits, qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait ! (Mt 25,40). Et il y a encore bien d’autres passages qui évoquent cette attention aux choses et surtout aux personnes humbles.
C’est là que j’en viens à une autre dimension : le Saint Sacrement n’est pas une chose, mais une personne. C’est le Corps du Christ. Et comme le dit le dernier passage cité, celui du jugement dernier chez Matthieu, le Christ est présent dans l’hostie, certes, mais il est aussi présent dans le pauvre, le petit et l’humilié. Le Corps du Christ, c’est aussi chacun d’entre nous, qui est un membre unique au sein de l’Eglise. Dès lors, il nous faut aiguiser notre regard, pour voir encore plus loin et plus profond. Comme l’aigle, qui a une vue perçante et repère sa proie à une très grande distance, il nous faut voir quels sont les signes de la présence de Dieu autour de nous. Ces signes discrets, il s’agit de les discerner dans les membres souffrants et cachés de l’Eglise, et de l’humanité. Ce n’est pas par hasard que saint Paul parle de la diversité des membres et de l’unité du Corps du Christ, après avoir décrit comment devrait se passer le repas du Seigneur. A Corinthe, les premiers chrétiens ne faisaient pas suffisamment attention les uns aux autres. Certains avaient faim, alors que d’autres s’empiffraient. De la même façon, Paul, après avoir critiqué cette attitude, explique qu’il faut prendre soin des membres les plus vulnérables et fragiles. Il dit ceci, dans sa première lettre : Même les membres du corps qui paraissent les plus faibles sont nécessaires, et ceux que nous tenons pour les moins honorables, c'est à eux que nous faisons le plus d'honneur. (…) Qu'il n'y ait pas de division dans le corps, mais que les membres aient un commun souci les uns des autres (1 Co 12,22-25).
Au cours de cette Eucharistie, prenons conscience de l’unité du Corps du Christ. Prêtons attention les uns aux autres, nous qui formons l’Eglise, Sacrement de l’Unité.
fr. Columba
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE