Les femmes, qui, à la pointe du jour, se rendent au tombeau, sont celles qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée, qui avaient été les témoins bouleversés de sa Passion qu’elle avaient suivie de loin, et qui, avant d’entrer dans le silence et l’impossibilité de faire quoique ce soit de ce grand sabbat, ces femmes sont celles qui, ayant suivi Joseph d’Arimathie avaient bien regardé, le tombeau pour voir comment le corps avait été placé. Avec les aromates qu’elles avaient préparés, avec une infinie tristesse, obsédées par les images merveilleuses et horribles de leur maître, gravées dans leur cœur, arrivent au tombeau, dont rien ni personne n’aurait pu leur faire oublier le chemin.
Il est des images qu’on ne peut oublier. Pour Abraham, celle de sa main tendue vers le couteau pour immoler son fils, arrêtée, au dernier moment par la voix « ne porte pas la main sur l’enfant » ; pour le peuple de Dieu poursuivi par les Egyptien, c’est celle de la mer qui s’ouvre devant eux et qu’ils traversent à pieds secs ; pour les pèlerins d’Emmaüs, toutes celles qui « leur avaient fait espéré qu’il était le sauveur d’Israël, remises en question par la crucifixion.
Et voilà que ce corps dont elles avaient bien vu qu’il avait été mis dans ce tombeau, n’y est plus ! Stupeur ! Les deux hommes au vêtement éblouissant qu’elles n’osent regarder, la crainte leur faisant baisser le visage vers le sol, le confirment : « Il n’est pas ici, il est ressuscité » et ils ajoutent : « rappelez-vous ce qu’il vous a dit quand il était encore en Galilée ...il faut que le fils de l’homme soit crucifié et que le troisième jour, il ressuscite ». Invitation à passer des évènements dramatiques qui bouleversent, remettent en question, plongent dans la violence, la révolte ou la tristesse, à une parole ; invitation à passer de ce que je vois à ce que j’entends.
Le « Voir » s’arrête, s’achève à la croix, la Résurrection est objet de notre Foi, elle commence avec l’écoute d’une autre parole que la mienne. La condamnation, la crucifixion, cet « échec » final que le tombeau reçoit dans le corps du crucifié, permet l’entrée définitive dans autre chose : une parole qu’on ne peut entendre qu’en fermant nos yeux et en ouvrant l’oreille de notre cœur. L’échec apparemment final qui ferme le tombeau, ouvre sur autre chose, permet l’entrée définitive dans la Foi.
Invitation –c’est cela la Résurrection – à ne pas nous laisser arrêter par tout ce que la violence humaine met inlassablement sous nos yeux, que se soient les scènes de tous les attentats du monde d’hier, d’aujourd’hui et de toujours, ne pas se laisser arrêter par l’immolation des enfants, non au Dieu Tout Puissant, mais aux démons de la luxure, de l’argent, ne pas avoir peur des foules qui nous menacent, ou, croit-on menacent nos intérêts de pays riches, mais croire aux paroles porteuses d’espérance, parce que porteuses de vie, proclamées en Galilée, celles du sermon sur la montagne, celles des Béatitudes, celles de la sainte Cène.
La résurrection c’est continuer inlassablement de croire à ce qui est démenti par le péché de l’homme et toutes les atrocités qu’il engendre ; la résurrection c’est croire et essayer de mettre en pratique la Parole de vie: ne tue pas, aime ton prochain, fais aux autres ce que tu voudrais qu’on te fasse, vois, jusque dans ton ennemi un frère, fils du même Père que toi ; ce Père qui, ayant parlé par son Fils, attend que nous fassions ce qu’il a fait pour nous, ce qu’il nous a dit de faire, ce dont il nous a donné l’exemple.
Cela fait exactement 20 ans, que nous avons appris consternés et horrifiés la mort des moines de Tibhirine. Comment ne pas nous en souvenir ! La Résurrection, la Foi aux paroles de Jésus c’est ce qui a permis à Christian de Chergé de dire, et, lequel de ses frères l’aurait démenti, (ils l’ont tous signé de leur mort,) et d’écrire dans son testament : « Voici que je pourrai, s’il plait à Dieu, plonger mon regard dans celui du Père pour contempler avec lui ses enfants de l’islam tels qu’Il les voit, tout illuminés de la Gloire du Christ, fruits de sa Passion, investis par le don de l’Esprit dont la joie secrète sera toujours d’établir la communion et de rétablir la ressemblance, en jouant avec les différences »
Que la Résurrection que nous célébrons dans la joie cette nuit, fasse de nous des réssuscités plus convaincus.
P. Thierry
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE