Un groupe de disciples de Jésus est rassemblé à Jérusalem.
C’est le jour d’une grande fête pour les Juifs.
La ville est pleine de gens venus de partout, pleine d’étrangers. Il n’y avait pas d’avions, pas de trains, pas de bus ni de voitures, mais il y avait partout des ânes et des charrettes, et des chevaux, et des dromadaires, et Jérusalem était un vrai Capharnaüm en ces jours de fête.
Ce groupe de disciples de Jésus qui est là, personne ne s’en occupe ; d’ailleurs, ils se font discrets depuis un certain temps ; leur fondateur est mort, c’est une communauté qui va péricliter ou éclater. Ils sont en grande majorité Galiléens ; à Jérusalem, c’est plutôt mal porté : qu’est-ce qu’ils font ici ? Leur fondateur, c’était un certain Jésus de Nazareth. On ne les appelle pas encore chrétiens ; on les appelle Nazaréens ou Galiléens, et c’est méprisant.
La Galilée, vue de Jérusalem, c’est un pays anonyme, obscur, crotté, seulement un lieu de passage, sans aucun prestige historique, un lieu aussi où les Romains se sont solidement installés, ont créé des villes nouvelles, très prétentieuses, avec des noms grecs, Neapolis, Sephoris, et leurs noms romains à eux, Césarée, Tibériade. Rien à voir avec Jérusalem, la Cité de David, le Temple de Salomon reconstruit par Hérode, l’une des sept merveilles du monde !
Et là, brusquement, qu’est-ce qui se passe ?
D’abord un énorme bruit, très impressionnant, comme un coup de tonnerre sur une maison qui a surpris et frappé tout le monde, aussi bien les disciples que les gens dehors : « lorsque les gens entendirent la voix qui retentissait, ils se rassemblèrent en foule. » En araméen, un coup de tonnerre, cela se dit « une voix du ciel ».
Ce coup de tonnerre n’est qu’un lever de rideau, comme les trois coups : « attention, ça va commencer ! »
Mais ensuite, la description physique de l’événement risque de nous cacher son sens pour nous aujourd’hui : « des langues qu’on aurait dites de feu… »
Visuellement, c’est un phénomène très inhabituel ; il ne me semble pas qu’un autre texte de la Bible nous donne la clé… mais attention, des « langues » : là, le texte est clair dans son insistance, puisque : « ils se mirent à parler en d’autres langues », c’est le même mot, c’est une histoire de langues étrangères, et Luc nous met les points sur les i, il y avait là toutes sortes d’étrangers, qu’on énumère longuement…
Le don de l’Esprit est une histoire de langues, un événement de traduction ; la capacité de se faire comprendre par des étrangers. Ce petit groupe sectaire qui n’intéresse personne, ces Galiléens obscurs réussissent à communiquer avec des étrangers venus des quatre coins de la planète. Avec un enthousiasme incroyable et inattendu !
Frères et sœurs, « si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole »…
La parole de Jésus a un POUVOIR insoupçonné, un pouvoir dialogal, un pouvoir de se traduire et de se faire comprendre, le pouvoir de parler à des gens très lointains, très éloignés.
Quel est ce livre traduit en des centaines de langues, qui est toujours et encore retraduit, même en français –ça n’arrête pas !–, ce livre qu’on ne peut empêcher de parler, tant son pouvoir est fort et nous dépasse ?
La Bible, la Parole de Dieu, l’Evangile.
« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole… celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles »
Le petit groupe de disciples en pleine déconfiture n’a pas oublié les paroles de Jésus, des paroles brûlantes, des paroles de feu, et pourtant des paroles déconcertantes, qu’aucun d’eux ne comprend tout-à-fait, ne maîtrise. Jusque-là, ils les avaient gardées, ces paroles, sans savoir trop quoi en faire, mais là, brusquement, elles explosent, elles germent, elles s’échappent toutes seules, avec ce phénomène étonnant : pour celui qui parle, c’est une langue étrangère… pour celui qui l’entend, c’est sa langue maternelle !
Vous vous souvenez d’un détail : autant de langues que de disciples, « il vint s’en poser une sur chacun d’eux ! »
Le dialogue dont il est question, c’est celui de la vie la plus ordinaire, la plus quotidienne ; oui, l’Eglise ira au bout du monde, mais ce jour-là déjà, des étrangers sont venus, tout proches. Chacun dans le dialogue quotidien expérimente l’action de l’Esprit Saint. La trace de l’Esprit dans nos vies, le signe que c’est vraiment Lui qui agit, c’est l’émerveillement et l’audace du dialogue avec celui qui vient d’un autre horizon, c’est tout et c’est immense.
Vingt siècles après la Pentecôte, comment ne pas le voir ? La planète est devenue un village global, mais nous sommes tous encore chacun les uns pour les autres des Galiléens, des gens de l’autre banlieue, de l’autre quartier, de la zone ou de l’immeuble stigmatisé, de passage seulement dans la Jérusalem éternelle qu’est l’Eglise, là où retentit la voix de l’Esprit Saint, et la parole de Jésus.
frère David
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE