« Réjouissez-vous avec moi ! »
« Y a de la joie ! » dans le ciel… pour presque rien, un pécheur qui se convertit, un sur 99, un sur sept milliards d’habitants de la planète.
De quelle conversion s’agit-il ? S’agit-il du grand retour que certains font de façon spectaculaire, une fois dans leur vie !? Mais ceux-là ont appris depuis lors que la conversion ne faisait que commencer, et qu’il leur fallait encore bien des fois revenir, avec courage reprendre le collier ! C’est tous les jours qu’il faut se convertir, revenir à Celui dont la paresse, la désobéissance et les convoitises nous éloignent si souvent. En latin, le mot qui désigne la «conversion », conversatio, désigne pareillement la vie toute entière, le style de vie, le genre de vie qu’on mène. Notre vie monastique, tout particulièrement, est désignée ainsi, et c’est une vie de conversion, puisqu’au jour de notre profession, nous avons fait le vœu de conversion de nos mœurs, aussi quotidien que celui de stabilité, d’obéissance.
Eh bien, ce vœu-là, plus encore que les deux autres, est au service de la joie, et d’une joie partagée. Cela est très vrai dans la vie communautaire ! La conversion, le retour d’un seul est une joie pour tous.
Il est ainsi en mon pouvoir de donner de la joie à mes frères.
Il est aussi en mon pouvoir de trouver la joie en accueillant la conversion de mes frères.
A cause de cette brebis perdue et retrouvée, la fête du Sacré-Cœur est peut-être un bon jour pour présenter à Dieu notre joie à chacun. Et aussi notre manque de joie.
Car il est une joie dont la parabole ne parle pas : la brebis, elle… est-elle joyeuse ? Est-elle si heureuse que cela d’avoir retrouvé le bercail ?
Zachée, quand il se convertit, reçoit Jésus dans sa maison « avec joie » ! Mais, à en juger par l’enfant prodigue, on peut penser que la joie de la conversion est une joie pleine de larmes, une joie paradoxale qui déborde le cœur, qui outrepasse l’analyse. Et la joie de son frère n’est pas évidente !
Frères, pour moi, au quotidien, je prends volontiers à mon compte la confession de Madeleine Delbrêl qui disait : « Notre grande douleur, c’est de vous aimer sans joie, ô vous que nous croyons être notre allégresse ! »
Pour éclairer et encourager cette joie, pour ne pas décourager cette non-joie, je voudrais rapporter un souvenir que racontait Mère Téresa :
« Un jour, j’ai vu une sœur qui sortait faire son apostolat avec une triste mine, alors je l’ai appelée dans ma chambre et je lui ai demandé : « Que nous a dit Jésus, de porter la Croix devant lui, ou de le suivre ? » Avec un grand sourire, elle m’a regardée en disant : « De le suivre ». Alors je lui ai demandé : « Pourquoi essayez-vous de le devancer ? » Elle a quitté la chambre en souriant… » (Mère Teresa, Viens, sois ma lumière, p. 256)
La conversion est une affaire de relation, elle n’est pas seulement mon affaire, entre moi et moi, moi qui cours tout seul devant… Non, elle est avec et pour Celui que j’aime et qui me précède, avec et pour les autres, tant d’autres qui me précèdent aussi. Si je peux être joyeux, c’est d’avoir été trouvé, retrouvé, et ainsi d’avoir retrouvé des traces à suivre à mon tour, des traces qui me donnent l’espérance d’arriver à bon port. Alors, oui, même la croix du Christ doit me rendre la joie, puisqu’elle est le bon port, puisque, par elle, toute souffrance humaine est encore un passage, ouverture sur une vie plus forte.
On sait mieux aujourd’hui par le témoignage de ses écrits la souffrance qui habitait Mère Teresa, et pourtant elle donnait à son entourage un témoignage de joie ; elle attachait en fait une grande importance à la simple bonne humeur, à la gaieté, écrivant ceci : « La gaieté est le signe d’une personne généreuse et mortifiée qui, oubliant toute chose, y compris elle-même, s’efforce de plaire à son Dieu par tout ce qu’elle fait pour les âmes. La gaieté est souvent un manteau qui cache une vie de sacrifice, d’union continuelle à Dieu, de ferveur et de générosité. Qui possède ce don de la gaieté atteint très souvent un haut degré de perfection. Car ‘Dieu aime celui qui donne avec joie’ (1 Co 9,7). » (ibidem, p. 55)
La bonne humeur est une joie humble, une disponibilité à la joie, ouverte à ce que l’autre en voudra, à ce qu’il en pourra porter, sans s’imposer. Car on sait bien que la joie exubérante peut aussi être exaspérante ! Et nous ne voulons pas être des brebis exaspérantes…
Seigneur Jésus, nous te présentons notre joie et aussi notre manque de joie pour que tu les convertisses. L’évangile ne nous dit pas si tu étais un homme joyeux tous les jours ; le seul témoignage d’exultation semble un secret étonnant, le secret de ton action de grâce au Père (Lc 10,21). Ailleurs tu as dit « mon âme est triste à mourir », et « heureux ceux qui pleurent ! », mais aussi à plusieurs personnes : « Ne pleure pas ! Pourquoi pleures-tu ? » Je crois que ta joie était secrète, et pourtant forte, et irradiante. Donne-nous cette joie-là, pour que nous ne soyons pas des pitres et des clowns, et pas non plus des chrétiens pisse-vinaigre.
Donne-nous une joie cordiale, une joie jaillie de ton cœur. Amen.
frère David
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE