Au moment où, dans les champs, le maïs pointe donnant à la terre une touche verte qui va aller s’intensifiant, au moment où, surtout de l’autre côté de la montagne, les champs d’orge et d’avoine approchent de la maturité, au moment où les champs de blé changent de couleur et les foins sont ramassés, les textes de ce Dimanche prennent dans la nature des images pour essayer de nous faire comprendre ce qu’est le Royaume, le règne de Dieu. Il est comme du grain que jette le semeur dans son champ, et qui va pousser tout seul sans lui ; il est comme la graine de moutarde, la plus petite de toutes qui va donner, toute seule, la plus grande plante du jardin ; il est comme ce rameau de cèdre que, sans l’homme, Dieu transplante qui produira des branches et des fruits, deviendra un cèdre magnifique ; il est comme ces arbres que Dieu, toujours sans l’homme, renverse ou relève. Dans toutes ces images l’homme est fondamentalement spectateur; s’il jette la graine et manie la faucille, entre les semailles et la récolte il ne peut qu’attendre et, comme le dit St Paul, espérer : un autre est l’auteur de la transformation, de la maturation de ce qui va lui permettre de vivre, de ce qui va devenir, de ce qui est sa nourriture. Ces images du Royaume, du règne de Dieu insistent donc surtout sur un long temps d’attente, de patience où il n’y a plus rien à faire, où il n’y a qu’à laisser faire, parce que ce qui doit venir ne dépend pas, ne dépend plus de nous ; en dehors de nous un travail se fait que « nous ne voyons pas » comme le dit St Paul.
Ces images, cette invitation à la patience, à la foi rejoignent ces deux fêtes que nous venons de célébrer : le Sacré Cœur et le Cœur immaculé de Marie auxquels notre église est consacrée. L’essentiel de la vie terrestre du Christ est un long silence. 30 ans de silencieuse patience pour laisser mûrir ce grain, la parole qu’il va donner aux hommes en nourriture ; deux ans de semailles qui ont ouvert le temps et le champ de l’Eglise qui durent encore ; 32, 33 ans durant lesquels, sans que les hommes ne voient rien, il les porte dans son cœur jusqu’à ce que celui-ci éclate sur la Croix sous le coup de lance de ceux qui l’ont refusé. Ce cœur, abandonné de ses disciples eux-mêmes, qui craque sous l’amour jusqu’au bout, livrant un peu d’eau et de sang, c’est de nouveau la terre - l’humanité - qui craque et s’ouvre sous la charrue pour recevoir la graine de vie celle que les apôtres, celle que l’Eglise apporte aux extrémités du monde, sous et malgré le bruit du mal qui la recouvre et veut la faire taire, mais n’y arrive pas… Sans lui, sans le Mal et les hommes qui le font, cette parole d’amour fait son chemin silencieux, féconde le silence, détruit les racines de ces arbres qui dominent le monde et se croient invincibles !
Comme celle de son Fils, la vie de Marie est essentiellement un long silence peuplé d’incompréhensions mais sous-tendu d’une confiance aussi têtue que silencieuse qui va du « Oui-comment cela se fera-t-il ?» de l’Annonciation, à , dans l’horreur de la Croix, l’acquiescement muet, au-delà de toute douleur au « femme voici ton fils »…Longue, patiente, obscure maturation dans ce cœur immaculé de cette coopération à la Rédemption qui a fait de la mère de Dieu, la nôtre, celle de tous les hommes. Maternité, qui, qu’on le sache ou non, qu’on le veuille ou non (comme la graine qui germe et pousse sans qu’on y puisse rien) accompagne chacun de nous, veille sur chacun de nous, et, inlassablement comme la mère qui recouvre l’enfant qui s’est découvert en dormant, étend sur nous l’amour de son Fils, l’indicible douceur de ses mains, son visage aux chemins interdit et nous murmure de ne pas craindre ce silence qui nous brise le cœur.
Le Royaume, le Règne de Dieu c’est ce Cœur Sacré de Jésus, ce Cœur Immaculé de Marie enfouis secrètement dans notre cœur à chacun, qui le fécondent et y œuvrent en silence : y croire leur facilite la tâche, aimer les aide à en transformer les pierres en terre meuble, s’efforcer de vivre la douceur et la justice leur donne déjà de faire éclore dans notre monde une fleur du Royaume, patienter en silence sans désespérer leur permettent de faire mûrir le fruit de demain que nos yeux ne peuvent voir mais dont le cœur de notre Foi est sûr.
fr. Thierry
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE