“Pas d’affolement”…C’est peut-être par ces mots que nous pourrions résumer les textes de ce Dimanche. On s’affole quand les choses sortent de l’ordinaire, de ce qu’elles devraient être, de ce qu’elles étaient jusqu’ici. Pour Isaïe le contexte est celui du retour de l’exile à Babylone. Que l’on parte en exile ou qu’on en revienne, cela ne va pas sans une certaine émotion, une certaine excitation, un certain affolement ; et si la joie du retour, les allège de ce qui les rendait plus pesants au départ, elle ne les supprime pas. Voir arriver en même temps un riche, un grand, quelqu’un qui semble important – ou se croit tel- et un pauvre, un petit un obscur –ou que l’on croit tel - ne va pas sans un certain embarras, une gène : que faire, quelle attitude avoir ?... tout de suite, face aux deux . Nous sommes comme provoqués au plus profond de nous-mêmes. Ce n’est jamais facile ni agréable. Alors qu’il est en déplacement et en pays étranger, allant de Tyr et de Sidon vers la mer de Galilée on amène à Jésus un malade à guérir ; aux soucis et aux préoccupations qui accompagnent tout voyage, voilà un imprévu, bien embarrassant ! Que faire ? Passer son chemin, continuer sa route ou intervenir…mais pour quoi faire ? Les imprévus ne sont jamais, n’est-ce pas, les bienvenus quand nous sommes en train de faire ce que nous avions décidé de faire, que ce soit pour les choses les plus banales comme pour les choses les plus importantes. L’imprévu ne va pas sans provoquer en nous un murmure, une interrogation, voire une irritation ou un énervement, du au fait que nous devons laisser notre manière de voir pour une autre, ce que nous voulions faire pour autre chose, notre volonté pour une autre et cela n’est jamais très agréable, n’est-ce pas ?!
La consigne : pas d’affolement et pour cela essayer de découvrir ce que nous ne voyons pas dans ce qui nous arrive. Commencer par laisser faire comme le dit le prophète Elysée à son serviteur qui veut écarter la Shunamite qui vient d’arriver et se prosterne aux pieds de son maître : « Laisse-la, car son âme est dans l’amertume ; le Seigneur ne l’a caché ; Il ne me l’a pas annoncé » (2R4,27). Son enfant était mort, l’enfant que, lui, Elisée, lui avait donné de la part de Dieu, et il ne le savait pas. Avec nous et dans ce qui nous arrive il y toujours, en plus, quelqu’un d’autre que nous ne voyons pas : Dieu. Dieu qui, seul, voit tout, sait tout, donne à tout son véritable sens. Dieu qui, seul sait ce qui se cache derrière les apparences des uns et des autres, derrière les réactions des uns et des autres, Dieu qui a mis et laisse au cœur des hommes les aspirations à la paix, à la justice, les rêves de bonheur, de communion, les désirs d’être reconnus, aimés, respectés alors que c’est tout le contraire qui, apparemment mène le monde… Pas d’affolement, car ce Dieu que l’on ne voit pas mais qui est présent en nous par nos rêves, nos désirs, nos aspirations qui ne sont qu’une participation aux siens, les réalisera : il vient lui-même et va nous sauver ; alors se dessilleront les yeux des aveugles et s’ouvriront les oreilles des sourds. Alors le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie ; car l’eau jaillira dans le désert, la terre brûlante se changera en lac… ! Alors, tout ce qui ne va pas se mettra en place, sera rectifié. Quand il ouvrira définitivement et complètement nos yeux à sa lumière, toutes les barrières entre nous qui séparent les riches des pauvres, les femmes des hommes, le Nord du Sud, tomberont car chacun verra quelle est sa place dans le Corps du Christ, et ne pourra que s’en émerveiller. Cela sera, parce qu’Il nous l’a dit, parce qu’il nous le promet, parce que c’est sa prière pour nous à son Père : « Moi en eux et Toi en moi » (Jn 17,23).
En attendant et pour limiter les affolements que nos aveuglements provoquent irrémédiablement en nous, concrètement que faire ? Ce que Jésus fait pour le sourd-muet qu’on lui amène. Aller, habituellement ou de temps en temps, avec lui à l’écart, loin de la foule, Lui et moi, moi et lui pour entrer en relation, sinon en communion avec lui en fixant mon attention sur ces moyens de communication que nous avons reçus de Dieu pour entrer en relation les uns avec les autres : les yeux qu’il faut lever vers le ciel, comme il le fait Lui-même, ces oreilles qu’Il touche de son doigt, cette bouche où il met sa salive et les ouvrir : lui demander de les ouvrir et pour que cela soit possible, entendre ce que, du plus profond le lui-même, Il dit au plus profond de nous: «ouvre-toi» ! , et y consentir Sans cette ouverture profonde de notre être, aucune relation n’est possible, la vie n’est pas possible.
Père Thierry
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE