Le Temple de Jérusalem, si présent d’un bout à l’autre de l’Évangile, est dénoncé aujourd’hui comme le lieu du grand malentendu. Il est bien la demeure de Dieu, où Dieu vient nous rencontrer, où nous pouvons approcher de lui. Or cette approche de Dieu, ce qu’on appelle la religion, les hommes en ont fait une caricature, un faux semblant, permettant d’éviter le risque de cette rencontre en faisant à Dieu, dans son Temple, toute sorte de cadeaux dont on espère qu’il pourra se contenter, tout ce bric-à-brac que Jésus envoie promener aujourd’hui à coups de fouet.
Et si cette brutalité nous choque, de la part du Seigneur au cœur doux et humble, la suite de l’Évangile nous réserve une parole plus dure encore, et qui nous fait mal : même si beaucoup crurent en lui, Jésus n’avait pas confiance en eux. Alors nous, qui croyons en lui, ne prendrait-il pas notre foi au sérieux ? Peut-être n’est-il pas dupe des bons sentiments dont nous nous contentons souvent pour nous estimer nous-mêmes justes devant Dieu. Il les connaissait tous, dit saint Jean, il connaissait ce qu’il y a dans l’homme, il savait ce qu’il pouvait attendre de ces hommes qui le déçoivent ; il voit nos cœurs, et derrière nos façades respectables, il juge à leur vraie valeur nos comportements même les plus religieux en apparence : Combien de temps devrai-je vous supporter ? dira-t-il un jour, à bout de patience.
Il connaissait ce qu’il y a dans l’homme, il n’en est pourtant ni dégoûté ni découragé. Car il est venu pour nous sauver, et son amour est assez fort pour nous remettre en accord avec Dieu et nous amener à l’adorer en vérité. C’est effectivement par l’amour que l’évangéliste explique la violence de Jésus contre tout ce qui encombre la maison de son Père et défigure le culte que Dieu attend de nous : L’amour de ta maison fera mon tourment. La colère de Jésus devant la profanation de cette maison donne la mesure de son tourment, de sa souffrance.
C’est une véritable passion, c’est la violence d’un amour blessé, où se trahit la faiblesse de Dieu, nous disait saint Paul. La faiblesse de Dieu, c’est justement son amour, tel qu’il le manifeste dans le Messie crucifié pour nous. Et la folie de Dieu, comme ose le dire aussi Paul, c’est cette imprudence du Père qui livre son Fils aux hommes, alors qu’ils vont chercher à s’en débarrasser. Faiblesse et folie de Dieu, qui s’expose à ce que son grand amour pour les hommes et sa volonté de les sauver soient tenus en échec par leur refus.
Tout ce que les prophètes avaient proclamé avec autant de passion, eux aussi, contre une religion sans amour, le Fils de Dieu l’assume à son tour : Ce peuple m’approche en paroles, mais son cœur reste loin de moi… C’est l’amour que je veux, un sacrifice spirituel, l’offrande d’une vie qui plaise au Seigneur.
Ce qui lui plaît,le Seigneur l’avait dit depuis longtemps en donnant à Moïse les commandements de la Loi, que Jésus reprend à son compte pour en faire un énoncé de la bonne nouvelle de notre salut : si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements. Nous avons peut-être appris par cœur autrefois ces ‘commandements de Dieu’ que nous venons d’entendre dans leur teneur originelle.
La liste qui nous en a été lue peut quand même nous décevoir, car il y manque le principal : le double précepte de l’amour de Dieu et du prochain. En fait, c’est dans un autre passage de la Loi transmise par Moïse que l’amour est désigné comme le cœur des commandements divins. Mais ils découlent tous de ‘Tu aimeras’, et ne peuvent être compris que dans ce climat.
La première parole de cette Loi, la première condition du bonheur promis, si tu veux entrer dans la vie, c’est de reconnaître le Seigneur comme celui qui est le tout de notre existence, le seul capable de répondre à toutes nos soifs : tu n’auras pas d’autres dieux que moi.
Ensuite viennent les préceptes qui concernent la relation à notre prochain, et qui mettent en avant le respect de sa personne, de sa vie, de son honneur et de ses biens : déjà les premiers éléments de cette vie fraternelle dont Jésus fera un des fondements du Royaume de Dieu.
À ces hommes qui ne lui inspirent aucune confiance, Jésus va donc malgré tout faire confiance, il va se livrer à eux jusqu’à leur donner son corps à manger. Il nous connaît assez pour savoir que nous allons à lui plus par habitude que par enthousiasme, mais il espère qu’en se remettant une fois de plus à notre merci, il finira par susciter en nous une réponse du même ordre, le don de notre amour et de notre vie au service de son Royaume, parce que nous aurons fini par croire, nous aussi, à l’amour. Amen.
Fr. Thomas
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE