« Jésus, Fils de David, aie pitié de moi » se met à crier Bartimée du bord de cette route où il semble en panne. Voilà donc que cet aveugle au bord de la route, comme en panne au bord de la vie, de sa vie, se remet à espérer en apprenant que c'est Jésus qui passe par là. Et Jésus va le rejoindre dans son désir le plus profond, dans sa foi aveugle. Voilà un homme qui n'a plus rien à perdre, qui n'a plus rien sinon un nom, il est quelqu'un, et de plus quelqu'un habité par un grand désir, par une formidable espérance en ce Dieu sauveur pour qui rien n'est impossible à qui met en Lui sa confiance, même blessée, bref, sa foi. Oui, voilà un homme pauvre, voire misérable et exclu, mais riche, riche de sa foi, riche de cet élan intérieur qui le fait bondir vers le Christ et finalement bien plus clairvoyant que beaucoup, car si les yeux de son corps son éteints, ceux de sont cœur sont bien ouverts. De l'aveugle en panne au bord de l'existence qui reconnaît cependant Jésus qui l'appelle, ou plutôt, le fait appeler par des frères (nuance importante), l'on en arrive à un homme qui voit, à un homme qui, d'assis qu'il était marche sur la route à la suite de Jésus, bref, à un homme remis en marche dans la vie par Jésus. Une note d'espérance pour nous mêmes dans nos vies où, du bord du chemin où nous serions arrêtés, du fond de la nuit, Il pourrait bien nous rejoindre en nous faisant appeler par des frères pour ensemble, aller vers Lui et reprendre la marche, voire même la course comme le suggère Saint Benoît dans son prologue de la Règle des moines. Une note d'espérance pour tous ces exclus en fuite appament désespérée sur les routes d'un exil forcé ?
Un page d’Évangile qui s'est aussi un jour éclairée pour moi par cette expression du Père Varillon : « On n'aime que d'en bas ». Mystère d'un Dieu qui, par l'Incarnation et la mort sur la croix, s'est mis en position pour aimer d'en bas en rejoignant quiconque jusqu'en ses ténèbres les plus profondes, jusqu'en ses paralysies les plus complètes, jusqu'en ses joies les plus secrètes. Voilà une perspective qui irait bien à l'encontre de certaines manières de considérer Dieu « en haut », certes, mais dans l'en-haut, dans le ciel inaccessible d'un Dieu indifférent ou impitoyable. Un Dieu dont il faudra sans cesse se redire, avec Jérémie, qu'Il est Père et qu'Il n'a d'autres desseins que de sauver son Peuple. Nous serions alors invités à une conversion du regard nous entraînant vers une démarche sans cesse plus croyante, plus confiante pour mieux percevoir en ce Dieu vivant, par le jeu des nombreuses médiations, le ressort de cet élan intérieur à espérer contre toute espérance, à aimer malgré tout, bref à être un vivant à la face du Vivant.
Alors ce Dieu auquel je crois cessera bien d'être un Dieu qui me tombe dessus mais bien un Dieu qui me soulève, me fait me lever, bondir, bref, qui m'appelle à la résurrection. Non pas un Dieu qui enchaîne ou qui contraint, mais un Dieu qui libère et entraîne à partir d'un désir qui nous habite tous et toutes. Regarder le bond que fait Bartimée vers Jésus, avec quel élan il se laisse rejoindre dans l'en-bas où il était prisonnier de sa cécité, de sa misère, de son exclusion, assis au bord de cette route. Oui, c'est d'en-bas que Dieu aime, qu'Il agit, qu'Il sauve, qu'Il conduit, selon la logique apparemment illogique d'un amour toujours dérangeant et déconcertant. Logique que rappellerait bien l’épître aux Hébreux au sujet du grand-prêtre qui, n'oubliant pas sa faiblesse personnelle, doit être capable, d'en-bas, de comprendre tous les autres hommes et par là, plein de miséricorde, être capable d'intercéder pour eux. Alors, bien conscients de notre bienheureuse faiblesse dont saint Paul se glorifiait et dont le philosophe Alexandre Jollien, handicapé, a fait l'éloge, à nous aussi de trouver ou retrouver, de désensabler ce désir de Le rejoindre dans cette profondeur où Il nous parle et d'entrer dans cette logique où nous sommes appelés, pour reprendre un verset du prophète Michée (6, 8) mais aussi quelques accents prophétiques de l'encyclique du pape François Laudato sii, à pratiquer avec justesse la justice jusqu'en nos rapports les plus simples avec nos semblables et notre environnement, à aimer la miséricorde, et marcher humblement avec notre Dieu, bref, à aimer, sans cesse habités par ce désir qui un jour fit bondir cet aveugle vers Jésus Fils du Dieu vivant venu le rejoindre dans son exclusion sur le bord d'une route de Palestine mais surtout dans sa foi. Un foi qui nous ferait dire un peu comme Jérémie : Seigneur, sauve ton peuple, sauve ce petit reste de désir en nous, sauve nous et viens au secours de notre peu de foi, toi qui est Père, Fils et Esprit-Saint qui habite en nous. Alors, nous aussi nous bondirons vers Toi, Dieu des vivants et non des morts, alors nous aussi pourrons dire comme le psalmiste (au psaume 83, 2 – trad. Garonne) : « En moi cœur et corps ont bondi vers le Dieu de Vie ».
Frère Philippe-Joseph
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE