Jésus, dans l'enceinte du Temple, est assis face au Trésor et il regarde la foule qui fait ses aumônes. Le tableau est étonnant. Pour nous aujourd'hui, imaginer quelqu'un assis regardant la foule qui est autour de lui, spontanément, nous nous représentons cette scène comme une terrasse de café où quelqu'un est assis, observant ses voisins et les passants nombreux. Il en remarque certains plus que d'autres et il partage son point de vue avec ses amis qui sont proches.
Mais attention, Jésus ne se situe pas en observateur superficiel qui se distrait en regardant, comme un spectacle, l'apparence extérieure des passants, leur chapeau, leur habillement, etc. Jésus regarde bien plus profondément. Il sonde les cœurs. Il voit ce qui n'apparaît pas aux autres. En fait, la scène ressemble plus à quelque chose comme un tableau de jugement dernier. Jésus, assis sur l'esplanade du Temple, ça n'est pas un badaud assis à la terrasse d'un café !
Alors, que nous dit ce texte ? Quelques versets auparavant, Jésus vient de rappeler le psaume de David : Le Seigneur dit à mon Seigneur, siège à ma droite ! Eh bien voilà, on y est : Jésus, effectivement, siège à la droite du Temple. Et il juge. Il sonde les reins et les cœurs. Il voit ce que les humains ne voient pas. Il retient ce que l'histoire des hommes ne retiendra pas ; et il annonce tout haut la nouvelle importante qu'aucun journaliste n'a vue : ces deux piécettes, qui ne pèsent pas lourd dans les finances nécessaires à l'entretien du Temple et au déroulement du culte, ces deux piécettes valent plus que tout le reste aux yeux de Celui qui EST le Temple véritable, et qui attend de nous que nous lui rendions un culte en esprit et en vérité.
Alors Jésus éprouve le besoin d'appeler à lui ses disciples pour le leur dire, solennellement : Amen je vous le dis ! C'est qu'il se passe ici quelque chose d'important. Une révélation. Le geste de cette femme est une révélation, une épiphanie. Elle dit quelque chose du mystère même de Dieu. Et Jésus est touché par ce geste, atteint au cœur. Ce geste (qui, une fois de plus vient d'une femme), lui dit quelque chose qu'il est seul à voir, à percevoir. Quoi donc... ?
Que voit-il ? Elle a tout donné. Ça, Jésus le voit et il est le seul a le voir. Cette pauvre femme a donné tout ce qu'elle possédait. Ou plus exactement, toute sa vie. En donnant la totalité de ce qu'elle possédait, elle a donné sa vie. Or, Dieu aussi donne sa vie. Cet épisode – ne l'oublions pas – se situe pendant la semaine sainte. Jésus est entré triomphalement à Jérusalem quelques jours auparavant, au dimanche des Rameaux. Il est entré dans le Temple, en a chassé les vendeurs. On se situe donc au début de la semaine sainte. Le mot Temple revient sans cesse dans ce chapitre de Marc. Au verset suivant, ses disciples lui en feront admirer les pierres et la construction ; mais lui dira qu'il n'en restera rien, même pas pierre sur pierre.
Est-il en train de parler du Temple de Jérusalem ou du Temple de son Corps ? En voyant cette femme, cette pauvre veuve mettre ces deux piécettes dans le tronc, Jésus a-t-il la révélation, l'annonce symbolique de ce qui va lui arriver. On peut tout à fait le penser. D'un côté on a quelqu'un, cette femme, qui donne tout, tout ce qu'elle a pour vivre ; de l'autre, on a Jésus qui se prépare à donner sa vie. Jésus se reconnaît en cette femme. Je dirais même qu'il prend ce geste en plein figure, et il appelle ses disciples pour le leur dire, parce qu'il est seul à le voir, ce geste, et à le déchiffrer. Ses disciples, eux, ne savent repérer que l'énormité de quelques dons fait par des riches. Jésus, lui, voit tout autre chose. Aucune caméra, aucun journaliste ne sait voir cette Bonne Nouvelle cachée dans les gestes du quotidien. Dieu se révèle au milieu de nous, et personne ne le voit. Amen, je vous le dis, elle a donné plus que tous les autres. Cela, il fallait que Jésus le dise pour que nous commencions à ouvrir nos yeux sur cette profondeur des choses.
Et Jésus de penser par devers lui : « Moi aussi, je vais devoir tout donner, donner ma vie par amour des hommes, puisque cela est dans mon être-même de Dieu. Et qui va le voir ? Qui va le comprendre ? Qui va le dire ? La grande histoire ne retiendra pas cet événement ; les journaux et la TV non plus, pris qu'ils sont dans leur lot de mauvaises nouvelles. Face à tout ça, qui dira la véritable Bonne Nouvelle. »
Voilà ce qu'on peut imaginer des pensées qui surgissent en Jésus. Et là, soit il désespère, se disant que la Bonne Nouvelle est incommunicable ; soit il commet l'acte de foi le plus improbable qui soit : il accepte de croire ; Jésus accepte de croire en eux : les Apôtres ; de croire en nous : ses disciples ; de croire que des hommes de plus en plus nombreux accepteront cette responsabilité incroyable qui consiste à annoncer la Bonne Nouvelle, à montrer à nos frères humains où se situe la révélation du vrai Dieu.
En voyant cette pauvre veuve, la personne la plus minuscule de cette foule qui est autour du Temple, Jésus comprend qu'elle est celle qui pose le geste le plus hautement prophétique. Et il appelle ses propres disciples pour le leur expliquer. Leur faire comprendre qu'on n'annonce aucune bonne nouvelle tant qu'on cherche à sortir en robes solennelles, à occuper les premiers rangs dans les synagogues, les places d'honneur dans les dîners.
Si cette pauvre veuve, qui n'attirait les regards de personne, a été repérée par Jésus, c'est bien parce qu'elle exprimait, par son comportement, une vérité essentielle de la vie spirituelle, et Jésus a compris pour lui-même cette vérité : c'est en donnant sa vie sur la Croix qu'il annoncera la Bonne Nouvelle. Amen
fr. Michel-Marie
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE