Un lépreux guérit par Jésus ! Ce texte court au langage si clair paraît si simple, si limpide et pourtant, que d'enseignements si tant est que nous y prêtions attention. Qu'y voit-on en effet ? D'abord un homme atteint de cette maladie disparue de nos contrée mais toujours présente ailleurs, la lèpre. Maladie qui défigure l'homme extérieur au point de le faire considérer comme devant être mis à part et exclu, bref, comme un paria, comme impur. Car cette maladie, outre son caractère intrinsèque, est aussi une affection de la relation à l'autre. Cette maladie exclut de la relation normale à l'autre. Et c'est donc un tel homme repoussant dans son apparence, exclu, impur, qui va prendre l'initiative d'oser aller vers Jésus, bravant ainsi un interdit social de l'époque. Faut-il qu'il soit donc habité d'un désir immense et d'une foi à soulever les montagnes ! Et voilà que l'évangéliste Marc va nous montrer à son égard un Jésus si humain et compatissant, un Jésus, pris de pitié, touché aux entrailles pour traduire plus justement, qui ose lui-même toucher ce lépreux au risque de contracter l'impureté légale dont il est question dans la première lecture. Risque inversé puisque c'est bien le lépreux qui va se trouver comme contaminé par Jésus qui le guérit et le rend à ses frères, dans sa dignité humaine et sociale de membre de la communauté de son temps, dans sa dignité de fils de Dieu qu'il n'a finalement jamais cessé d'être.
Mais soyons aussi un peu attentif à l'échange de paroles entre cet homme et Jésus. « Si tu le veux, tu peux me purifier ». Rien à voir avec le « Si tu le peux » du démon des tentations au désert qui insinue le doute, comme le fit le serpent de la Genèse. Rien à voir non plus avec cet autre épisode où, toujours chez Marc (9, 22), le père d'un enfant possédé dit aussi « si tu y peux quelque chose, hé bien viens à notre aide ». Expression désespérée d'un père exprimant cependant encore le doute et à qui Jésus répondra comme avec humeur : « Pourquoi me dire si tu peux... Tout est possible à celui qui croit ». Là, le lépreux n'émet aucun doute en comprenant comme naturellement la dynamique profonde de l'amour de Jésus voulant que tous soient sauvés et rejoints par l'amour du Père : « Si tu le veux, conformément à ta nature profonde, tu peux me guérir, tu vas me sauver, tu ne peux pas ne pas me purifier ». Autant le « si tu peux » insinue donc le doute, autant le « tu peux » du lépreux est un acte de foi. Et si Dieu n'admet pas qu'on mette en doute son amour, Il ne détesterait alors pas qu'on le sollicite voire qu'on le secoue avec foi comme dans les psaumes : « Réveille-toi ! Pourquoi dors-tu ? » (ps 43, 24) ou « Souviens-toi de ta tendresse » (ps 24, 6). Et là, nous voyons bien Jésus agir conformément au bienveillant dessein d'amour du Père pour tous les hommes. Il ne guérit pas cet homme en lui disant : « tu veux cela ? Je te l'accorde ! ». Non, là, l'on voit bien l'Amour en acte rejoignant une foi et une espérance contre toute espérance par delà la lèpre. Et c'est certainement ce souci de rejoindre chaque homme, chaque femme en vérité, avec une justesse et une délicatesse qui pourraient aussi expliquer cette surprenante interdiction qu'il fait au lépreux de ne rien dire à personne avant de s'être montrer au grand prêtre qui le déclarera guérit et réinséré dans ses liens sociaux. Comme si Jésus lui disait : « Attention, ne parle pas trop tôt à tord et à travers avant d'être reconnu purifié par les autorités de ton peuple car ton enthousiasme déplacé pourrait être un contre témoignage ! ». Peine perdue apparemment !
Mais quel enseignement pour chacun de nous ? Appel à être comme ce lépreux, habité d'un désir immense au point de croire à l'impossible en espérant contre toute espérance que notre Dieu de tendresse peut nous rejoindre toujours et partout, au risque que cela fasse mal, même dans les replis les plus cachés de nos cœurs parfois si compliqués, jusqu'en nos maladies et autres lèpres intérieures ou non pouvant nous affecter ? Espérer être aussi en voie de guérison jusqu'en nos relations interpersonnelles peut-être pas toujours évidentes et iréniques ? Et quel autre enseignement sinon y voir encore une invitation à être comme Jésus, oui, comme Jésus ? Prétention ? Non, saint Paul lui-même nous y invite aujourd'hui en n'hésitant pas à affirmer : « prenez-moi pour modèle ; mon modèle à moi c'est le Christ ! ». Oui, chacun à notre façon, grâce à l'Esprit qui habite en nos cœurs, devrions être en quelque sorte Capax Dei pour reprendre une expression de saint Augustin, capables d'accueillir Dieu et son amour par l'autre, oui, capables comme Dieu, mais à notre mesure, de rejoindre l'autre, de le toucher en nous laissant toucher comme aux entrailles par lui, par ses blessures mais aussi ses beautés. Empathie, compassion, bienveillance et j'en passe pourraient alors être de bons outils pour commencer à rejoindre l'autre comme Jésus lui-même nous rejoint au cœur de nos blessures, dépressions et autres deuils mais aussi au cœur de nos joies et espérances les plus folles. Oui, comme le lépreux, cela mérite bien d'oser un acte de foi, d'oser donner, contre toute raison, notre confiance dont les blessures, blessures de confiance, sont sans doute les plus douloureuses et les plus difficiles à guérir. Oui, aujourd'hui, cela vaut la peine d'écouter sa Parole de Vie et de nous laisser toucher par elle au plus profond.
frère Philippe-Joseph
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE