Frères et sœurs, en ce jour de l’Ascension, que fêtons-nous ?
Un événement extraordinaire, inouï : l’exaltation de Jésus Ressuscité, sa montée au ciel, un mouvement vertical ; le mot « ascension » le dit clairement, et c’est assez incroyable.
Mais ce n’est peut-être pas le seul mouvement…
Parce que l’Ascension n’est pas un événement isolé qui se serait produit un beau jour à Jérusalem il y a plus de 2000 ans. Pas plus que Pâques n’est une chose, un objet, un événement clos sur lui-même dont on pourrait faire le tour.
Pâques est bien plutôt un formidable MOUVEMENT, un élan, une mise en route qui dure encore. Et c’est ce même et unique mystère que scrute la liturgie pendant cinquante jours, jusqu’à la Pentecôte incluse, un seul mouvement, le mouvement pascal, le grand éveil, mouvement initié par le Christ et qui nous entraîne à notre tour vers le Père, si nous consentons à le suivre.
Pâques n’est pas seulement une histoire entre Jésus et Dieu, sinon, quel intérêt pour nous ? s’il n’y a que lui qui se retrouve vivant alors qu’il était mort, on est content pour lui, mais cela ne nous concerne pas outre mesure !
Non ! L’élan de la Résurrection NOUS atteint, NOUS concerne, et c’est pourquoi Paul déclare : « NOUS sommes ressuscités avec le Christ » ; ce mouvement nous éveille, nous met en mouvement, non pas d’un seul coup, mais progressivement, à la mesure de la croissance de notre foi, et aussi de multiples façons, parce qu’il y a plusieurs façons de bouger et d’être bougés : à la façon d’un choc, d’un tremblement de terre, à la façon du vent, de l’ouragan ou de la brise, à la façon d’une marche, d’un long pélerinage, à la façon d’une procession, à la façon d’une danse, et là encore plusieurs façons de bouger : menuet, valse, rock…
Vous vous souvenez des débuts, du premier matin, des apparitions aux femmes, aux disciples. Tout cela était plutôt confidentiel, hésitant, timoré. Pourtant la joie de la Résurrection, cet enthousiasme qui naissait timidement, ce choc et la course qui s’en est suivie n’ont cessé de se fortifier, et l’onde de choc s’est communiquée, elle s’est répandue de proche en proche, et bien sûr, encore aujourd’hui cela n’est pas achevé…
Sur le curseur du temps pascal, l’Ascension correspond au quarantième jour. Pourquoi quarante jours ? Les quarante jours qui ont suivi ce premier matin ressemblent au carême, à l’exode du peuple hébreu : le temps nécessaire aux disciples pour passer de la captivité à la liberté, de l’Egypte à la terre promise, un temps d’épreuves après le choc de la croix, sous le choc comme nous le montre le récit d’Emmaüs, un temps où alternent les déceptions, les doutes, et des éblouissements, comme nous le montre le récit des pêcheurs au bord du lac…
Où se situe la différence entre avant et après l’Ascension ?
Dans les signes.
Pendant quarante jours, le Ressuscité a donné aux disciples des signes puissants de sa présence ; mais au bout de ce temps, il leur a fallu marcher dans la foi. De même, pendant les quarante années de la marche au désert, le Seigneur s’était montré présent au milieu de son peuple, puissant en prodiges et en signes, il y avait la nuée obscure, il y avait la manne, il y avait la source du rocher… mais quand le peuple eut passé le Jourdain, quand il entra en terre promise, les signes disparurent, la manne cessa, on ne vit plus la nuée, le peuple d’Israël était devenu adulte, il lui fallait marcher dans la foi, confiant dans l’alliance dont il faisait mémoire désormais. Un certain type de signes était révolu, et il était inutile de rester planté là à regarder le ciel ! Puisqu’il n’y avait plus de manne, il fallait travailler la terre…
Frères et sœurs, l’évangile ne nous dit pas qu’il n’y a plus de signes du tout après l’Ascension, il nous dit que ce ne sont plus les mêmes signes : ne restent que les signes de la FOI, « les signes qui accompagneront ceux qui deviendront croyants » ; non pas des apparitions, non pas des grands signes venus du ciel à la verticale, mais des signes à l’horizontale, signes de vie sur la terre et qui méritent notre attention : des délivrances, des libérations, des guérisons, une solidité plus grande, on résiste au mal, au poison, solidité et solidarité… Pas si banal que ça !
Le mouvement pascal est ainsi un mouvement qui de lui-même, à un certain moment, change d’axe ; de vertical, puissamment vertical, tout orienté vers Dieu, il passe à l’horizontale. Comme dans la croix, le vertical et l’horizontal sont indissociables : Dieu et les frères, prière et mission, jamais l’un sans l’autre. C’est en regardant Jésus obstinément, passionnément, que l’on se découvre soi-même envoyé, aux siens et à d’autres. Ce changement d’axe est un signe très sûr de la maturité de la foi chrétienne : pas seulement une histoire entre moi et « mon Jésus », mais une histoire d’amour avec des proches, des frères, et aussi des inconnus, des lointains, une histoire d’amour qui tend vers l’infini. Amen.
frère David
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE