« Comment ai-je le bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu'à moi ? ». Une phrase magnifique de notre évangile de ce jour. Et je me suis demandé si elle appelait un point d'interrogation (comme l'indique nos Bibles) ou un point d'exclamation : Elisabeth interloquée par le bonheur immense qu'elle ressent et que l'enfant qu'elle porte a lui-même éprouvé.
Peu importe. Ce qui est sûr, c'est que nous sommes au cœur d'un mystère joyeux, et le texte le souligne fortement. Elisabeth essaye d'expliquer les raisons de sa joie : « L'enfant a tressailli d'allégresse au-dedans de moi... heureuse celle qui a cru ! » Et marie d'ajouter : « Mon âme exalte de Seigneur ; exulte mon esprit en Dieu mon sauveur. »
Quelle joie emplit ces deux femmes ! On est vraiment au cœur d'un mystère joyeux très fort, et cette scène extraordinaire se passe le plus simplement du monde, en Palestine, il y a 2000 ans, entre deux femmes, dont aucune ne devrait être enceinte. L'une d'elle parce que c'est trop tard, l'autre parce que c'est trop tôt. Et il n'y a pas d'autres témoins que les deux enfants qu'elles portent dans leurs entrailles. Mystère ! Mystère joyeux, très joyeux ! Et aussi très réel, très concret, très terrestre.
Mais il n'y a pas que ça ! Il y a en effet dans la lecture de l'Apocalypse, un autre mystère qui nous est présenté. Et celui-là, très douloureux. Il n'est pas décrit en termes historiques, mais plutôt évoqué en images qui ne se situent pas dans un temps et un lieu donnés, mais qui sont de tous les temps. La femmes qui apparaît ici est en train de crier, torturée par les douleurs de l'enfantement, tandis qu'un énorme dragon rouge feu s'apprête à dévorer l'enfant dès sa naissance. Cette douleur est celle de l'humanité entière et de tous les temps, celle qui se débat avec les forces du mal et du péché.
Le combat semble bien inégal entre un mystère joyeux si fragile et si discret, et un mystère douloureux si puissant, apparemment invincible. En fait, il y a une troisième voie, celle que nous présente le passage de la première aux Corinthiens dans la deuxième lecture. Là, on entre dans un autre monde, celui de la Résurrection. Je cite : « C'est en Adam que meurent tous les hommes ; c'est dans le Christ que tous revivront. » Là encore, nous ne sommes plus dans l'Histoire, mais au delà de l'Histoire. Saint Paul nous transporte au moment où « tout sera achevé, quand le Christ remettra son pouvoir royal à Dieu le Père, après avoir détruit toutes les puissances du mal. » Voilà le mot de la fin, la fin des temps, mais non pas la fin de la Vie ; car nous continuerons notre vie avec le Christ pour toujours, c'est-à-dire comme la Vierge Marie, exaltée dans la gloire, unie pour toujours à son fils unique.
Le mystère de l'Assomption récapitule en lui ces trois dimensions de la personne de Marie. Oui, elle a réellement fait partie de notre histoire humaine. C'est indéniable. Elle y a connue les joies spirituelles les plus hautes. Elle y a fait l'expérience de souffrances spirituelles qui l'ont mise en lien avec tous ceux qui souffrent sur cette Terre. Et finalement elle se trouve maintenant dans la gloire du Christ Ressuscité où nous sommes tous appelés à entrer.
L'histoire de Marie, c'est la nôtre, celle de chacun de nous – le péché en moins. Nous avons tous connu quelque chose des mystères joyeux, au moins quelques instants de bonheur terrestre, bien humain, qui nous a fait entrevoir l'existence d'un bonheur infiniment plus grand : on a ressenti, expérimenté le premier ; et l'on a deviné le second, dans l'espérance.
Ensuite, nous avons tous connu quelque chose du malheur, de la douleur, du mal. Et cela a peut-être eu la prétention d'être le dernier mot de l'existence... Mais grâce à la foi en Jésus Christ, nous avons perçu une autre lumière : celle de la Résurrection, de la vie nouvelle, de la gloire éternelle.
Et là, nous sommes très soutenus par la Vierge Marie dont nous dirons tout à l'heure dans la préface qu'elle est la parfaite image de l’Église à venir, l'aurore de l’Église triomphante. C'est elle qui guide et soutient l'espérance du Peuple de Dieu encore en chemin.
Frère et sœurs, que la grâce de cette fête de l'Assomption fasse grandir en nous le désir de la gloire éternelle ; qu'elle nous fasse tenir fermes dans la foi en la réalité de cette gloire ; et qu'elle nous fasse expérimenter que tout acte d'amour posé ici-bas est comme une fenêtre qui s'ouvre sur cette gloire éternelle. AMEN !
Fr. Michel-Marie
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE