Moines zen et chrétiens à Paris

Ces quelques lignes se voudraient un témoignage des impressions personnelles qui m'ont habité pendant ce colloque sur l'hospitalité monastique chrétienne et l'hospitalité monastique bouddhiste.

La première impression, et peut-être aussi la plus naturelle pour ce genre d'événement, était la joie de rencontrer des moines et moniales zen japonais mais aussi occidentaux (américain, français), de retrouver des moniales et moines chrétiens, engagés depuis déjà longtemps dans le dialogue interreligieux monastique dont fr Martin et sr Gaëtane, qui auront organisé et mené à bien ce colloque, la joie aussi de retrouver fr. Thierry-Marie Courau o.p. dont le conseil et la bienveillance auprès de fr. Martin et de nous tous auront contribué également au succès de cette rencontre Asie-Europe.

En écoutant nos hôtes zen autant que les participants chrétiens lors des témoignages, des conférences, des temps spirituels (prière des heures, za-zen, cérémonie du thé, messe), des échanges à table, aux moments de détente… j'entendais comme quelque chose d'une certaine connivence, d'une certaine expérience commune de l'hospitalité qu'elle soit bouddhiste ou chrétienne ; j'y voyais aussi comme un principe sous-jacent vrai pour tous les participants, me semble-t-il.

En effet, nous avons eu, pendant ces deux jours, les japonais comme les européens, à quitter le familier, le connu, à opérer un passage sur l'autre rive, inconnue, étrangère par le pays, la langue, la culture, la spiritualité, les codes… Surtout, les moines zen par leur venue et leur séjour dans des monastères ont dû faire le vide de toute référence nippone et faire l'expérience d'une solitude hors de tout repère familier. Ils ont fait le saut dans l'inconnu sans savoir ce qu'il adviendrait de bon ou de moins bon ; ce qu'ont vécu aussi les moines chrétiens en allant au Japon vivre une expérience dans des temples zen, il y a de cela quelques années.

Ce principe commun, au fond, c'est que dans notre désir spirituel propre, un au-delà du connu nous attire, un plus loin qu'ici nous entraîne. Le désir de marcher vers des ailleurs nous provoque à l'hospitalité et au dépassement des peurs et des craintes et permet alors une croissance spirituelle dans sa propre tradition et voie. C'est l'expérience que j'en fait.

Mais, ce principe commun est vécu à l'aune d'une expérience toujours singulière, intérieure, où la pénétration dans un espace extérieur étranger par la langue, la culture, l'histoire, les mœurs peut créer l'ouverture d'une dimension intérieure nouvelle à l'intime de soi, creuser à l'intime de la chambre du cœur des régions inconnues. Mystère d'une hospitalité où l'extériorité et l'intériorité se nourrissent, s'émulent, s'accueillent, se répondent et font grandir en humanité celle ou celui qui s'y risque. La rencontre extérieure vient comme inciser l'intériorité et marquer le cheminement spirituel d'une étape nouvelle.

C'est le mystère de l'hospitalité où des chercheurs de sens, qui se rencontrant, s'élèvent mutuellement pour tendre vers la paix, la rencontre fraternelle, simple et vraie ; et cela, dans le respect de nos irréductibilités, de nos différences religieuses et spirituelles.

Deux images me viennent. La première est celle de plaques tectoniques. Ainsi, les moines zen et chrétiens seraient comme situés sur des plaques tectoniques différentes, l'une asiatique, l'autre européenne. Chacun sur leur plaque, ils vont réciproquement l'un vers l'autre, se rencontrent et s'appuient mutuellement l'un contre l'autre et, seulement alors, transcendent leur horizontalité dans ce temps favorable, pour peut-être toucher au Christ chez le chrétien ou tendre vers l'Éveil du Bouddha pour le bouddhiste. La seconde image est celle des arbres. Enracinés dans la même terre de ce monde, ils croissent ensemble spirituellement tels des arbres d'une même et immense forêt. Chacun des arbres grandit selon son essence différente jusqu'à ce que certaines de ses branches rencontrent d'autres branches d'un arbre différent et dans les hauteurs de leur diversité touchent peut-être ensemble, ne serait-ce qu' un instant, à la lumière de la vérité.

Fr Nathanaël