Pour cette fête de l’Immaculée Conception, la liturgie nous fait relire le récit de l’Annonciation. Qu’est-ce que l’Eglise nous dit dans ce choix ? Quelque chose comme le mystère de la PAGE BLANCHE, immaculée, sur laquelle le Verbe divin vient écrire, vient s’écrire, en Marie et dans le monde.
Toute vocation, tout appel de Dieu cherche en nous la page blanche pour écrire. Elle existe en nous, cette page blanche, elle a pour nom « liberté », mais parfois, il y a bien des pages à tourner avant de la trouver, des pages grises, des pages noires de lettres ou de chiffres, de ratures et de taches aussi.
Chez Marie, cette page blanche est première, page de garde d’un livre blanc. Alors la vocation de Marie nous apparaît indiciblement unique… mais en même temps elle est bien le modèle et la matrice de toute vocation chrétienne.
Et c’est bien pourquoi ce jour de l’Immaculée Conception est une date traditionnelle pour un engagement religieux. Aujourd’hui, au cours de cette eucharistie, frère Jean-Baptiste va s’engager par l’oblation régulière. Selon la Règle de saint Benoît, mais, indissociablement, selon la Règle des enfants de Dieu, des fils de l’Eglise, des fils de Marie.
Y a t-il tant d’écart entre la vocation de Marie et la nôtre ?
On est tenté de dire oui ! La vocation de Marie est impressionnante : l’Ange l’appelle « comblée de grâce » et cela nous semble inaccessible !
Pourtant vous avez entendu comme moi l’hymne de la Lettre aux Ephésiens : nous aussi, nous sommes « comblés de grâce ». « Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus Christ… il nous a COMBLES de sa bénédiction spirituelle en Jésus Christ », et saint Paul insiste : « de cette GRACE DONT IL NOUS A COMBLES en son Fils bien-aimé. » !!
C’est de cette même et unique grâce que Marie est comblée, dès le premier instant, comme en notre nom à tous, figure de notre appel et de notre salut. Elle est la première des sauvés.
Or nous avons bien du mal à réaliser que nous sommes comblés de grâce… Un prêtre a eu cette formule très heureuse, qui le dit autrement : « La vocation, c’est un cadeau qu’on n’a jamais fini de déballer. » Dieu appelle, aujourd’hui comme hier, au présent, un présent qui n’a pas de fin, comme un cadeau qu’on n’a jamais fini de déballer.
La vocation contient tout, l’appel que Dieu nous adresse est potentiellement riche de la plénitude, du salut plénier que le Christ veut pour nous. Il nous est difficile de le reconnaître ; il faut toute une vie pour se reconnaître comblé de grâce… Pourquoi ?
Parce que la DISGRACE prend d’abord toute la place. Tel est le mouvement que nous montre la Bible elle-même : au début est le récit de la DISGRACE… et ce récit est terriblement poisseux, il suffit de voir comme on y revient, obsessionnellement ; on écrit bien davantage sur Gn 2-3 que sur la vocation de Marie, celle des quatre pêcheurs ou celle de Lévi…
Dans nos vies aussi, l’épreuve perdure, la tentation est là, le Jaloux nous souffle à l’oreille sa jalousie, son dépit, nous sommes tentés de rouméguer sans cesse sur nos disgrâces multiformes au lieu de reconnaître la grâce, si bien que nous ne voyons pas d’ange, pas de sourire lumineux, pas de promesse.
Qu’est-ce qui peut nous aider pour opérer la conversion à la grâce ?
Sans doute de bonnes oreilles, des oreilles spirituelles. Qui ne sont absolument pas un casque diffusant une musique divine, loin de tout bruit parasite, non ! Bien plutôt une capacité d’entendre résonner la voix très fine, très discrète, de Dieu, non pas ailleurs mais DANS le monde, CHEZ nos proches, CHEZ les autres et à travers eux : détour obligé, détour inévitable pour un chrétien.
Dans ce présent extraordinaire qu’est la vocation, nous le savons, il y a deux temps, l’appel et la réponse, l’appel qui vient de Dieu, et la réponse qui nous appartient en propre, l’expression de notre liberté. Saint Nicolas de Cuse explicite ceci en faisant apparaître un troisième temps, intermédiaire ; il dit à Dieu dans un raccourci magnifique : « Tu les appelles pour qu’ils t’écoutent, et quand ils te répondent, alors ils sont. » (De Visione Dei, XII)
Entre l’appel et la réponse, il y a notre écoute, une écoute fine, toujours plus fine, infinie. Et cette écoute patiemment nous convertit, nous tourne dans le bon sens, nous oriente vers la pleine lumière de la grâce.
Demandons à Dieu de bonnes oreilles, pour mieux reconnaître la grâce de notre vocation, au présent.
frère David
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE