Dans ce récit que l’Eglise a choisi pour la messe du matin de Pâques, il n’y a rien qui ressemble à une apparition du Ressuscité, vous l’avez remarqué, seulement une absence, soulignée par quelques détails qui nous intriguent comme ils ont intrigué les disciples.
Il n’y a rien non plus qui ressemble à un renvoi vers une autre direction, comme dans les récits évangéliques où un mystérieux messager renvoie les disciples vers la Galilée pour y voir Jésus.
Non, toutes les données sont sur place ; le mystère est là, au bord du tombeau de Jésus, palpable, pleinement exprimé, et suffisant pour que l’un des disciples accède à la foi : « il vit et il crut ». C’est donc un texte très précieux pour nous, puisque porteur de l’essentiel : ce qui est suffisant pour notre foi !
Le premier fait marquant a trait au tombeau lui-même. Le tombeau est le motif obsessionnel du récit : l’évangéliste reprend sept fois le mot « tombeau » en huit versets ! En grec, ce mot « tombeau » s’apparente à la MEMOIRE, au souvenir, comme on parle aujourd’hui d’un « mémorial » pour désigner un monument ; le mot « monument » vient d’ailleurs lui aussi d’une racine qui veut dire « se souvenir » ; ainsi le tombeau TIENT LIEU de mémoire. C’est un lieu clos, en témoigne aujourd’hui encore l’importance des rites de la fermeture du cercueil et de la sépulture proprement dite, second recouvrement, seconde occultation. Ce monument, par sa masse comme par sa clôture, permet de faire le deuil, à la fois parce qu’il tient lieu de mémoire, et parce qu’il est clos : la page est tournée, l’histoire est close ; il s’agit effectivement de ne plus « remuer » sans cesse le souvenir, de laisser reposer le passé. La pierre tombale a une fonction d’occultation.
Or, du tombeau de Jésus, la pierre a été enlevée, cette pierre très grande qui en fermait l’entrée ! Avant d’en conclure avec enthousiasme que Jésus est vivant, je voudrais regarder ce que regardent les disciples, ce tombeau ouvert. Régulièrement, hélas, des violations de sépulture nous redisent la violence que représente un tel spectacle ; devant un tombeau ouvert, l’angoisse n’a rien d’anormal. Et avant même la conclusion qu’en tire Marie-Madeleine (« on a enlevé le Seigneur »), cette pierre retirée dit que l’occultation n’est plus efficace, la tentative de masquer l’absence est mise en échec, le VIDE a repris ses droits…
La Résurrection non seulement ne supprime pas l’absence, mais elle empêche de combler le vide ! Elle empêche le deuil ; elle laisse le vide béant. Premier point !
Le second fait marquant, contrairement au premier, est léger, apparemment négligeable, souvent négligé : à l’intérieur du tombeau, il n’y a pas « rien » mais des linges, un suaire, des morceaux de tissu, dont la présence et l’agencement intriguent les visiteurs ; de fait, c’est étrange : si l’on avait voulu emporter le cadavre, on n’aurait pas laissé sur place les linges qui l’enveloppaient. Ces linges ne sont pas un vêtement de Jésus, ce sont des linges mortuaires ; ils sont un rappel marqué de ce passage du Fils de Dieu dans la MORT, par la mort.
Deuxième point donc, tout aussi dérangeant : la Résurrection ne supprime pas la mort ; au contraire, elle en préserve la trace !
Nous voici donc avec un curieux résultat pour stimuler notre foi au Ressuscité : la Résurrection ne supprime pas l’absence, la Résurrection ne supprime pas la mort. On dirait qu’elle empêche seulement de tourner la page, de combler le vide, d’oublier l’absence, de refermer l’histoire…
Telle est peut-être la foi nue du disciple bien-aimé ! Viendront ensuite des signes qui témoigneront qu’il est vivant, mais ce premier temps nous donne les clés de notre propre foi dans son aridité coutumière : l’impossibilité de tourner la page, de refermer la tombe, et d’oublier sa mort.
La Résurrection du Christ dit le rôle essentiel du VIDE, du manque, dans la vie de foi d’un croyant : croire, c’est consentir à un vide, et même y reconnaître une force vitale, éminemment positive…
L’image qui me parle le mieux de ce vide positif de la Résurrection, c’est celle de l’appel d’air. Regardez l’effet d’appel d’air dans notre récit : dès que Marie a vu la pierre enlevée, la voilà qui se met à courir, et elle alerte si bien Pierre et son compagnon qu’eux-mêmes se mettent à courir ; eh bien, cette course ne s’arrêtera plus. Ce vide a un rôle stucturel dans l’Eglise : pas d’Eglise sans la place centrale de l’Esprit Saint, du Souffle imprévisible, qu’on ne peut jamais enfermer ni mettre en boîte d’aucune façon.
Jésus avait dit à ses disciples : « L’Esprit saint vous rappellera mes paroles ».
Le gardien de la mémoire, pour un chrétien, ce n’est plus le tombeau, c’est LUI, l’Esprit saint, ce VIDE AGISSANT qui pénètre nos cœurs et les empêche à tout jamais de se refermer.
frère David
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE