« Elles se disaient entre elles : ‘qui nous roulera la pierre ?’ »…
Elles ont de l’appréhension, elles ont PEUR de ne pas pouvoir faire… quoi ? Rouler la pierre : quelque chose de physique, que des hommes pourraient faire, mais elles sont trois femmes !
Aussitôt entrées, nouvelle PEUR : de quoi ? D’un jeune homme en blanc, lequel leur dit : « n’ayez pas peur »…
Et puis la finale, encore la PEUR : « Elles sortirent et s’enfuirent du tombeau, parce qu’elles étaient toutes tremblantes et hors d’elles-mêmes. Elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur. »
Telle est la finale de l’évangile de Marc : l’angoisse, la peur et la fuite, le mutisme !
Finale déconcertante, mais il y a quelque chose d’encore plus curieux : au matin de la Résurrection, les femmes font exactement ce que les hommes ont fait dans la nuit de la Passion : ils ont eu peur et ils ont fui. Elles aussi, elles ont eu peur et elles ont fui.
La Résurrection n’efface pas la Passion, on dirait même qu’elle produit sur les disciples exactement le même effet : la peur, la fuite, le mutisme.
A bien lire le texte, sans lui surimposer tout ce que nous savons ou croyons savoir par ailleurs de la Résurrection, il nous faut apprendre d’abord de ce récit ce que N’EST PAS la Résurrection : PAS une happy end, PAS une fête à tout casser saupoudrée d’alleluia, avec une « avalanche de fleurs de pommier »…
L’auditeur de cet évangile selon saint Marc reste délibérément, sinon dans l’angoisse, du moins dans l’inachèvement, dans l’attente, mais l’attente de quoi maintenant ? Si Marc termine là son évangile, c’est que nous avons déjà ce qu’il faut pour comprendre, pour croire et pour marcher…
Je remarque que ce jeune homme qui faisait peur aux femmes leur a dit : « allez dire aux disciples (au masculin) et à Pierre », mais « elles ne dirent rien à personne », et ce « personne » en grec est encore au masculin, c’est une subtilité que la langue française ne permet pas d’exprimer !
C’est un détail, mais on a l’impression que la Résurrection ne peut devenir pleinement « Bonne Nouvelle » que dans la RENCONTRE des femmes et des hommes !
Laquelle rencontre est encore à venir, car : où sont passés les hommes au matin de la Résurrection ? Ils sont absents, ils dorment peut-être encore ? Il est vrai qu’ils trouvaient déjà le moyen de dormir à Gethsémani, au moment le plus critique.
Frères et sœurs, notre récit est le plus ancien de tous… Et ce qui est frappant, c’est que tous les évangélistes ont gardé ce chassé-croisé entre les hommes et les femmes, entre la nuit de la Passion et le matin de la Résurrection. Mort-Résurrection, Sommeil-Eveil, Hommes-Femmes : pour s’en tenir à Marc, le parallélisme est frappant ; trois disciples-hommes endormis au jardin de la Passion, et trois disciples-femmes éveillées très tôt le matin dans le jardin de la Résurrection ! Quand donc vont-ils se rencontrer ?
Nous le savons, la Bible est davantage un livre d’images qu’un traité scientifique ou juridique. Nous sommes à la dernière page de l’Evangile, et il me semble que ces images de la dernière page résonne avec celles des premières de la Bible, au livre de la Genèse : là aussi, il y a un jardin, et le projet d’amour de Dieu : un homme endormi et une femme qui s’éveille à la vie : premier couple, premier amour.
La Résurrection du Christ, c’est le réveil du nouvel Adam, le véritable Adam, et la naissance de l’Eglise…
Frères et sœurs, l’horizon que nous ouvre la Résurrection est immense : non pas le prodige de la réanimation d’un cadavre, mais le mystère de l’amour de Dieu pour les hommes, réellement « plus fort que la mort » (Ct 8,6).
La Résurrection du Christ prépare ces noces à venir pour l’humanité, une alliance inouïe, celle que nous décrit en sa toute dernière page le dernier livre de la Bible, l’Apocalypse : les noces du Ressuscité et de l’Eglise, belle comme une fiancée parée pour son Epoux ! Voilà ce qui fait dire à Paul de tout mariage humain : « ce mystère est grand » ! Je crois que l’on passe à côté de l’essentiel si l’on perd de vue que le fil rouge de la Bible est l’amour de Dieu pour l’humanité.
Mais alors, nous, face à cet amour plus fort que la mort, que devons-nous faire ?
Comme chacun des disciples, homme ou femme, vivre une conversion : ils ont eu peur, ils ont fui, ils se sont tus… eh bien, par la foi, ils vont passer, jour après jour, et nous comme eux :
de la crainte à l’amour,
de la fuite à la rencontre,
du mutisme au témoignage…
frère David
Abbaye Saint Benoît d'En Calcat - 81110 DOURGNE